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Actuel / Le Refuge solidaire de Briançon menacé

Yves Magat

20 octobre 2020

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Depuis son ouverture il y a trois ans, le Refuge solidaire de Briançon a déjà vu passer plus de dix mille réfugiés, pour des séjours en général très courts, rarement plus de trois à quatre jours. Le nouveau maire de la ville française, dans le département des Hautes-Alpes, veut fermer cette structure d'accueil au 28 octobre. Notre reportage.



Briançon, France. En début de nuit, une équipe de maraudeurs solidaires de Briançon découvre trois jeunes adolescents errant dans la montagne entre l’Italie et la France. Ils cherchent leur chemin au-dessus de ce qui sera bientôt, comme chaque année, le domaine skiable franco-italien du Montgenèvre. C’est la plus ancienne station de ski française et le col routier qui la traverse passe à 1850 mètres. Ici il fait toujours beaucoup plus froid qu’à une altitude équivalente dans le reste des Alpes. Les jours de cette mi-octobre sont ensoleillés mais pendant la nuit on est déjà proche de zéro degré.

Un peu plus tard, les trois adolescents sont rassurés et réchauffés au Refuge solidaire de Briançon, une structure que le nouveau maire de la ville veut fermer au 28 octobre. Les jeunes rescapés racontent leur histoire avec l’aide d’un interprète bénévole. Comme tant d’autres en ce moment, ils ont fui l’Afghanistan, où la guerre est sans fin entre l’armée gouvernementale, les islamistes talibans et de nombreuses factions rivales politico-maffieuses. Malheureusement, dans la violence de la traversée d’une autre frontière, entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, ils ont perdu de vue leurs parents et ont décidé de continuer sans eux. Parmi les migrants qui arrivent ces derniers mois ici à Briançon, les nombreuses histoires de violences perpétrées par les gardes-frontières croates font froid dans le dos.

Le réseau solidaire organise rapidement une prise en charge des trois adolescents afin de les amener à Paris où des amis de leur famille devraient les recevoir. Tout le monde espère que leurs parents les y retrouveront dans un bref délai mais pour l’instant les enfants n’ont pu reprendre aucun contact téléphonique avec eux.

Afghans et Iraniens

Depuis son ouverture il y a trois ans, le Refuge solidaire de Briançon a déjà vu passer plus de dix mille personnes pour des séjours en général très courts, rarement plus de trois à quatre jours. Il n’y a maintenant plus beaucoup d’Africains de l’ouest, comme c’était le cas jusqu’à l’an dernier. Actuellement ce sont surtout des familles afghanes (souvent de la minorité hazara) et kurdes iraniennes qui ont parfois derrière elles plusieurs années de voyage hasardeux et des séjours horribles dans les camps des îles grecques. Et même ici, rien n’est joué. La gendarmerie effectue régulièrement des rafles dans la gare de Briançon, comme celle à laquelle j’ai pu assister. Les migrants qui s’apprêtaient à prendre le train sont  reconduits à la frontière. Parfois on leur permet alors de remplir une demande d’asile en bonne et due forme pour les ramener ensuite à Briançon. Mais le plus souvent ils sont expulsés vers l’Italie. Ils tentent en général de passer à nouveau la nuit suivante.

Arrestation de migrants par la gendarmerie devant la gare de Briançon. © Yves Magat

A l’extérieur du Refuge solidaire, une famille iranienne profite du soleil pour se prendre en photo avant de monter dans le bus pour Grenoble puis le train de Paris. Dans ce cas, ce ne sont pas des Kurdes: «Nous sommes des Chrétiens», me dit la maman dans un anglais sommaire en me montrant un petit pendentif doré en forme de croix.

Son mari la regarde tendrement et leur fillette d’une dizaine d’années, plaisante avec ses parents. La maman m’explique qu’ils sont de religion protestante. «L’Iran est un pays musulman, on nous considère comme des apostats. C’était de plus en plus difficile pour nous.»

La famille décide alors il y a quatre ans de quitter Téhéran avec une des grand-mères et de s’installer en Turquie. Mais elle ne s’y sent guère mieux dans un environnement musulman exacerbé par la politique de renouveau religieux du président Erdoğan. Ces protestants iraniens reprennent alors la route et arrivent dans les Balkans. «En Serbie, nous n’avions pas de problème car c’est un pays chrétien, m’explique tant bien que mal la maman. Mais les conditions de vie étaient très difficiles. J’ai fait une fausse couche et ma mère qui nous accompagnait est décédée.»

Les parents et leur fille se décident alors pour un nouveau départ. Cette fois, leur objectif est la France où ils n’ont toutefois pas de point de chute. L’errance est sans fin mais ils semblent garder confiance.

Décision contestée

Le Refuge solidaire de Briançon voit depuis le début de l’été un nombre croissant d’arrivées en provenance d’Italie: 150 en juin, 250 en juillet, 350 en août, 450 en septembre….

«Nous atteignons des chiffres semblables à ceux d’il y a trois ans, lorsque nous avons ouvert le refuge», m’explique Philippe Wyon.

Ce Briançonnais d’adoption est un ancien accompagnateur en montagne et un des fondateurs du Refuge solidaire. Depuis la menace de fermeture annoncée de façon inattendue le mois dernier par Arnaud Murgia, le nouveau maire de Briançon, Philippe Wyon est une des personnes qui se mobilisent sans compter pour renverser cette décision.

«Le maire a mal apprécié la situation. Il croyait avoir affaire à un petit groupe de gauchistes mais il s’aperçoit que ce n’est pas si simple. Quand on ne veut pas accueillir les gens, ça se passe mal, continue Philippe Wyon de son habituel ton posé, plus proche du guide montagnard que du militant. Mais ici à Briançon, il n’y a jamais eu de problème. Ce n’est pas Calais, on est sur du flux, les exilés n’ont aucun désir de rester, alors que Calais, c’est une impasse.»

Le maire de Briançon est aussi président de la Communauté de communes et donc doté d’un pouvoir important. Membre du parti Les Républicains, il a battu au second tour des élections législatives en juin dernier son prédécesseur à la suite d’une division des listes de gauche.  Elles ont refusé de fusionner et n’ont pas fait le poids face à la liste unique de droite.

Image touristique menacée

L’attitude du maire est incompréhensible pour beaucoup de monde et on se demande si ce n’est pas juste un coup d’esbroufe pour rallier les sympathies d’extrême-droite et propulser sa carrière. La fermeture du refuge ne faisait même pas partie de son programme électoral. La ville de Briançon est reliée par télécabine à Serre Chevalier. C’est une station de ski en hiver et une base de randonnée en été. Une bonne partie de son électorat travaille dans le commerce et le tourisme, des Briançonnais qui n’ont pas du tout envie de voir ternir l’image de leur ville par des familles de migrants dormant dans la rue ou la gare de départ de la télécabine.

La menace du maire a déclenché de vives réactions à travers toute la France, emmenées par les plus importantes associations humanitaires du pays: Abbé Pierre, Emmaüs, Médecins du Monde. Une pétition de protestation a recueilli en quelques semaines plus de 37 000 signatures à la tête desquelles se trouvent celles de Mgr Xavier Malle, évêque de Gap, ainsi que du sociologue Edgar Morin.

La trêve hivernale qui commence le 1er novembre devrait, selon la règle, empêcher de mettre à la rue les personnes hébergées, mais ce n’est qu’un répit. Les membres du collectif qui gère le refuge espèrent en profiter pour faire passer à la mairie une proposition de commission qui étudierait des solutions pour remplacer l’actuel bâtiment vétuste car c’est une ancienne caserne des CRS totalement inappropriée à ses fonctions actuelles. En attendant il reste à savoir qui va payer la facture du fuel pour le chauffage qui était jusqu’à présent prise en charge par la mairie. Une préoccupation très matérielle mais fondamentale pour passer l’hiver briançonnais.

 


Films et livres présentés à Briançon

Le premier Festival Exils s’est tenu à Briançon du 7 au 11 octobre dernier.  Malgré les restrictions sanitaires, il a vu arriver un large public pour assister à la projection de quatorze documentaires, dont le film Vol spécial de Fernand Melgar. Des tables rondes ont été organisées sur la thématique des migrations et une librairie temporaire proposait des dizaines de livres récents traitant de ces questions. Parmi ceux-ci, La route à bout de bras (Editions Migrilude) a été lancé en présence de son auteur, Mamadou Sow, jeune migrant guinéen handicapé, qui a lui-même transité par le refuge de Briançon il y a deux ans. Ce récit de vie, sous forme d’abécédaire à la première personne, raconte les discriminations dont sont victimes les handicapés en Afrique. L’auteur décrit ensuite son incroyable parcours à travers le désert, le cauchemar libyen et la Méditerranée, littéralement sur les bras, car ses jambes sont inutilisables en raison d’une polio contractée dans l’enfance.

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