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Actuel / Plongée au cœur du parlement européen

Jonas Follonier

29 avril 2019

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Le mardi 16 avril 2019 a son importance dans l’histoire de l’Union parlementaire. Au parlement de Strasbourg, l’observateur suisse que je suis a pu assister à des décisions importantes concernant le droit du travail, à des discussions intenses entre les journalistes sur la succession de Juncker et au discours d’adieu de Jean-Marie Le Pen, notamment. Récit d’une première fois dans l’antre de l’hémicycle.



C’est une dernière session plénière un brin particulière qui a lieu cette semaine. En ce mardi matin, l’ambiance est à l’émotion. L’incendie de Notre-Dame semble ébranler sincèrement aussi bien les européens convaincus que les eurosceptiques. C’est une partie de la civilisation occidentale qui s’est effondrée avec cette ancienne charpente et cette pointe qui s’élançait vers les cieux, un symbole qui montre la réalité d’une Europe géographique et culturelle unie malgré tout. Ce qui, en revanche, ne se retrouve pas dans l’Europe politique. La montée des forces eurosceptiques dans les Etats membres, l’incertitude quant à la succession de Jean-Claude Juncker et la confiance perdue des peuples envers l’Union débouchent sur une situation inédite.

Le souverainisme contemporain

Il y avait de l’émotion, aussi, en ce mardi 16 avril, dans la voix de plusieurs eurodéputés se représentant pour un nouveau mandat, ou pour d’autres qui, eux, s’en vont. Sans doute Jean-Marie Le Pen est-il un cas plus que spécial, dans la mesure où il ne va pas manquer au parlement – et il le lui rend bien. Cette Europe, il la hait, et le patriarche n’a pas manqué de l’exprimer de l’intérieur au cours de ses trente-quatre ans passés (parfois) dans l’hémicycle. Trop «technocratique», trop «fédéraliste», trop «néolibérale», l’Union européenne représente pour la figure de proue de la droite nationale française ce qu’elle déteste par-dessus tout: la négation des nations. Vu des tribunes, le nonagénaire semble très fatigué, déchiffrant ses feuilles à quelques centimètres de son œil, affalé sur son fauteuil. N’ayant pas manqué cependant de glisser ce qui s’apparente à une blague à son dauphin Bruno Gollnisch avant le début des votes du matin. Son discours d’adieu, dans l’après-midi, a retenti comme un coup de tonnerre.

Les souverainistes de la nouvelle génération, portés notamment par la fille Le Pen, iront-ils aussi loin dans la critique de l’UE que le fondateur du Front national? Rien n’est moins sûr. Pour ces derniers, l’heure est plutôt à la critique interne. Mais les observateurs avec lesquels j’ai pu discuter dans la cafétéria bondée de l’espace presse ont de la peine à croire à un quelconque réformisme: c’est tout sauf une démarche positive dont font preuve au parlement le Rassemblement bleu marine, le FPÖ autrichien, la Lega italienne ou le Parti pour la liberté néerlandais. Voici donc la grande question qui se pose à l’égard des nouvelles droites nationalistes: même dans le cas d’un nombre de sièges qui augmente, arriveront-elles à peser sur le plan politique? Il faudra bien plus que de la rhétorique anti-élites pour y parvenir: une vision est nécessaire. Et des propositions.

Il reste que le départ de Jean-Marie Le Pen symbolise la fin d’une certaine droite dure à la française. Les souverainistes européens représentent une nouvelle idéologie, plus axée sur la souveraineté nationale que sur l’identité et plus critique envers le libéralisme économique. Même si l’immigration, il est utile de le rappeler, reste le thème numéro un de ces mouvements. Une vision que partage l’eurodéputé français Vincent Peillon, du Parti socialiste: «L’obsession de l’immigration et la préférence nationale restent les préoccupations premières de l’extrême droite», me dit-il au bout du fil. «Son nouveau discours est certes de 'changer l’Europe', mais c’est au fond le discours que tient tout le monde actuellement. Il faut faire attention à ce que l’extrême-droite est capable de faire une fois arrivée au pouvoir. Nous sous-estimons cela.»

Le débat de France 2 Demain, quelle France dans quelle Europe?, réunissant le 10 avril dernier les responsables des principales formations politiques françaises, était symptomatique de ce phénomène: tous entendent changer profondément l’Europe. Même Stanislas Guerini de La République en marche, qui était dans ses petits souliers. Fait encore plus marquant, chacun des débatteurs tenait un discours teinté de souverainisme et de protectionnisme: le libéralisme économique, il faut le dire, n’a pas la cote en France. Alors même que c’est Emmanuel Macron qui a été élu à la présidence de la République. Incohérence, quand tu nous tiens. Dans l’hémicycle, c’est une grande majorité libérale que j’ai pu observer parler, les socio-démocrates et les démocrates-chrétiens se rejoignant sur la défense du libre marché et la volonté d’adapter l’Union aux réalités de la numérisation et de la mobilité.

Vers une Europe sociale

La mobilité du travail, précisément, était l’un des thèmes forts de cette journée. Le parlement a notamment adopté le règlement sur la création d’une Autorité européenne du travail. La proposition venait de la Commission européenne, lors de son discours sur l’état de l’Union en 2017. L’objectif de cette instance? Garantir que «toutes les règles de l’UE en matière de mobilité des travailleurs soient mises en œuvre de manière juste, simple et efficace.» C’est après de longues négociations que le Parlement était arrivé, le lundi 14 février 2019, à un compromis. Le parlement votait mardi dernier sur le règlement, qui définit les détails du projet. Durant les débats, l’ambiance était plus à la rhétorique de tribuns qu’aux marmonnements de technocrates. Les élections à venir prochainement n’y étaient certainement pas pour rien.

Les partis dits «populistes», de gauche comme de droite, ont critiqué cette avancée sur le respect des normes en matière de mobilité du travail lors des débats. C’est ainsi que l’élu Konstantinos Papadakis, du Parti communiste grec, a déclaré: «Vous protégez et promouvez la galère de la mobilité du travail et du travail noir non assuré!», avant d’ajouter, de manière totalement paradoxale comme on en a l’habitude chez les europhobes: «Voter pour le Parti communiste grec, c’est voter contre la jungle de l’Union européenne!» Quant à la danoise Rina Ronja Kari, elle n’a pas hésité à affirmer que «c’est le marché unique qui crée l’éloignement politique des Européens», avant de conclure: «Que leur répond l’UE? Qu’il faut plus d’UE. […] Mais eux demandent d’avoir plus de pouvoir pour eux, pas pour l’UE!»

Difficile de comprendre cette gauche de la gauche s’élever contre un texte ayant pour objectif de «faire en sorte que le dumping social devienne un mauvais souvenir plutôt qu’une triste réalité», pour reprendre les mots du député socialiste français Guillaume Balas. Jamais l’UE ne s’est autant dirigée vers une protection des travailleurs au sein du marché unique, sur la base d’un terrain d’entente entre les grands groupes de gauche et de droite. Ce qui est plutôt bon signe. Un constat que partage Vincent Peillon, notre interlocuteur téléphonique: «Je ne crois pas à la liberté de l’individu sans justice sociale. Je me réjouis bien sûr de cette avancée.»

L’eurodéputé nous explique avoir pu compter lors de ses mandats sur la construction de larges majorités, malgré le clivage gauche-droite qui reste bien réel sur des sujets comme la fiscalité, l’écologie ou les réfugiés. Il concède en revanche n’avoir pas réussi à obtenir un écho auprès de ses collègues sur la dimension civilisationnelle de l’esprit public européen, qu’il s’est efforcé de vouloir réhabiliter lors de ses débuts au parlement: «Malheureusement, peu s’en soucient. Nous n’avons pas encore réussi, Européens, à nous affirmer porteurs d’une histoire commune. Il manque cet échange qui nous permettrait de mieux connaître les valeurs et les mœurs que nous partageons.» Ne serait-ce pas en effet ce qui manque à cette Union? Intéressant, en tous les cas.

Des craintes populaires

Mais surtout, une chose m’a frappé au parlement comme déjà lorsque j’avais visionné les débats. Il ne faudra pas s’étonner d’une montée des partis les plus à droite de l’échiquier politique – c’est une éventualité – si les «démocrates» adoptent une attitude telle que celle que l’on a pu voir sur le plateau de France 2. Par exemple, cet insoutenable mépris du ténor écologiste, la tête dans ses mains, durant toute la partie du débat sur l’immigration, qu’il n’estime ne pas être un thème important, pas même un thème tout court, puisque selon lui «le seul enjeu est l’enjeu écologique». Affirmer cela et ne rien opposer d’autre à Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan que «ouvrons grand nos frontières», c’est négliger certaines craintes populaires.

Dans les restaurants, les bars et les cafés, j’ai pu constater à Strasbourg le ras-le-bol de toute une partie de la population vis-à-vis d’une immigration ressentie comme massive et, selon leurs dires, d’un «deux poids deux mesures» de la police. Celle-ci, d’après plusieurs des personnes avec qui j’ai dialogué sans même venir sur le sujet, n’ose même plus intervenir face à l’incivilité de certaines populations nord-africaines, par exemple. Que cette réalité soit fantasmée, déformée, grossie, il n’en demeure pas moins que les problèmes existent et que la France, au même titre que les autres nations d’Europe, faillit dans le domaine de l’intégration. Ces données bénéficieront-elles aux nationalistes? Nous le verrons du 23 au 26 mai prochain.

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