Actuel / Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!
En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des taxes douanières.
Article publié sur Infosperber le 3.09.2025, traduit et adapté par Bon pour la tête
Prix élevés, marges bénéficiaires énormes, bonus exorbitants, lobbying grossier et obsession maladive pour les cours élevés des actions: pour une fois, il ne s'agit pas des banquiers notoirement cupides et avares de capitaux propres au détriment de la collectivité, mais de l'industrie pharmaceutique.
Roche, par exemple, a annoncé en juillet qu'elle allait retirer pour l'instant le médicament anticancéreux Lunsumio du marché suisse en raison d'un différend sur le prix avec l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Peu après, le directeur général de Novartis, Vasant Narasimhan, a menacé de ne plus proposer de médicaments en Europe si les pays européens ne payaient pas plus cher qu'auparavant.
Enrichissement sur le dos des Américains
Les dirigeants bien rémunérés des groupes multimilliardaires s'inquiètent en effet de la politique économique et commerciale de Trump. Car si les droits de douane américains de 39 % épargnent pour l’instant l'industrie pharmaceutique, ce n'est que partie remise. La Suisse réalise en effet des excédents commerciaux importants avec les Etats-Unis dans le domaine des produits pharmaceutiques. Grâce aux prix exorbitants qu’ils y pratiquent, Novartis et Roche réalisent près de la moitié de leur chiffre d'affaires aux Etats-Unis et les bénéfices qu’ils en retirent sont en constante augmentation.
Les grands groupes pharmaceutiques sont de plus en plus axés sur le profit
Les géants pharmaceutiques internationaux s'enrichissent considérablement. Vous trouverez ici une version plus grande du graphique. © Graphique: Christof Leisinger
Aux Etats-Unis, de nombreux médicaments sont aujourd’hui plus de deux fois plus chers qu'en Suisse – alors que dans notre pays, selon une étude suédoise, les prix sont déjà de 50 à 100 % plus élevés que la moyenne européenne. Des prix qui contribuent ainsi pleinement à la dérive des dépenses de santé aux Etats-Unis, lesquelles ont plus que triplé au cours des 60 dernières années pour atteindre par moments près de 20 % du produit intérieur brut (PIB). Les dépenses de santé par habitant y sont presque deux fois plus élevées que dans d'autres pays industrialisés, tandis que l'espérance de vie, elle, a diminué.
Dans le collimateur de Trump
Il n'est donc pas étonnant que Donald Trump se soit engagé à réduire le prix des médicaments. Ces dernières semaines, il a même menacé d'imposer des droits de douane pouvant atteindre jusqu’à 250 % sur les importations étrangères. Sans parler du fait que les Européens ont par ailleurs eu l'audace de répercuter sur les Américains les dépenses élevées de la recherche pour le développement de nouveaux médicaments.
Non pas que Trump se soucie réellement du système de santé américain complexe, opaque et coûteux en raison des frais cachés et des remises secrètes accordées aux intermédiaires. Pas plus qu’il ne se positionne contre l’enrichissement des groupes pharmaceutiques et leurs énormes marges. A condition que d’autres les paient.
Les Américains sont ceux qui dépensent le plus pour les produits pharmaceutiques
Les Américains sont ceux qui dépensent le plus pour les médicaments. Ici, vous trouverez une version plus grande du graphique.© Graphique : Christof Leisinger
Répercussion sur le prix des médicaments en Suisse
Le président américain offre ainsi à ce secteur très lucratif, par exemple au directeur général de Novartis, Vasant Narasimhan qui dispose d'un réseau important à Washington, une passe décisive pour les négociations futures, y compris en Suisse. Selon des articles parus récemment dans les médias, les lobbyistes de Roche, Novartis et Cie seraient d’ailleurs en train de tout mettre en œuvre à Berne pour faire augmenter le prix des médicaments fixés par l'Etat. Car moins de marges signifie moins d’investissements pour la recherche, avec le risque que cette dernière, ainsi que la production, soient délocalisées, entraînant avec elles d'importants contribuables suisses. Tel est l’argument massue répété inlassablement par ceux qui représentent les intérêts des grands groupes pharmaceutiques, comme René Buholzer, par exemple, directeur général d'Interpharma.
Des stratégies malhonnêtes
Pourtant, le secteur utilise déjà toutes les possibilités à sa disposition pour presser comme un citron ce marché fortement influencé par la bureaucratie. Avec l'«evergreening», par exemple, qui consiste à modifier légèrement la formulation pharmaceutique d'un produit commercialement réussi afin de pouvoir prolonger autant de fois que nécessaire son brevet. Un enjeu crucial puisque l'Etat accorde pour un temps aux entreprises pharmaceutiques le monopole sur les médicaments nouvellement développés afin de s’assurer que les coûts élevés de la recherche soient récupérés sur le plan économique. Les détenteurs de brevets retardent ainsi autant que possible le moment où leurs concurrents pourront vendre des produits génériques contenant les mêmes principes actifs mais à des prix nettement inférieurs.
Selon une étude empirique du Parlement européen, grâce à la stratégie de l'«evergreening», près des trois quarts des brevets accordés ces dernières années l’ont été pour des médicaments qui, en réalité, existent déjà depuis longtemps.
En outre, si les groupes pharmaceutiques se plaisent à mettre en avant les coûts importants de la recherche et du développement ainsi que le risque élevé d'échecs, ils dépensent en réalité bien davantage en marketing et en lobbying. Les principes actifs prometteurs, eux, sont souvent achetés par le biais de fusions ou d'acquisitions d'entreprises, et non pas développés par les entreprises elles-mêmes. Les risques sont donc bien moindres que ce que le secteur prétend.
Des prix toujours plus hauts
Il n’empêche que ce dernier entend bien profiter du conflit douanier avec les Etats-Unis pour imposer ses intérêts – et donc l’augmentation du prix des médicament sur le marché national – par la force. En argumentant, comme le font les représentants d'Interpharma, sur le fait que l'industrie pharmaceutique est de loin le plus gros contribuable et que la moitié des coûts de santé en Suisse sont financés par les recettes fiscales.
Lors d’une conférence de presse il y a quelques jours, l’OFSP a quant à elle mis en garde contre l’augmentation des primes d’assurance maladie que provoquerait la répercussion des prix des médicaments à la baisse aux Etats-Unis sur les citoyens suisses. Si le Conseil fédéral devait céder aux exigences du secteur pharmaceutique, qui réalise pourtant des bénéfices considérables, il le ferait au détriment des assurés, déjà fortement sollicités. Et alors que les dépenses en médicaments en Suisse ne cessent d’augmenter.
En 2023, les coûts des médicaments sur ordonnance pris en charge par l'assurance maladie dans le domaine ambulatoire s'élevaient à 9 milliards de francs, soit 11 à 12 % des 100 milliards de dépenses globales annuelles de la santé. Des chiffres qui ne tiennent pas compte des médicaments en vente libre, payés par les patients eux-mêmes, ni de ceux utilisés dans les hôpitaux. Si on y ajoute ces derniers, les médicaments représentent alors près d'un quart des coûts, ce qui souligne l'importance de ce poste de dépenses dans le domaine clé de l'assurance maladie.
Avec ou sans augmentation des prix, les dépenses en médicaments continueront quoi qu’il en soit d'augmenter en raison du recours à de nouvelles thérapies coûteuses et du vieillissement de la population. Quant à l'utilisation de génériques, elle reste faible en Suisse en comparaison à la moyenne européenne.
Coûts des médicaments dans le domaine ambulatoire de l'assurance de base
Le coût des médicaments en Suisse ne cesse d'augmenter. Voici une version agrandie du graphique. © Graphique: Christof Leisinger
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