Actuel / Maryssa Rachel: la fureur de vivre et la passion noire des mots
Elle a débarqué à Genève, avec son amie Sab-Rina, un certain 14 juin 2019. Sans savoir ce qui se passait ce jour-là en Suisse. L’apprenant, elle applaudit: «En France, il n’y a pas d’égalité salariale non plus et on en parle peu!» Mais alors de quoi parlent-elles, les féministes françaises? Comment cette écrivaine – elle sort son troisième roman – prend-elle pied dans l’effervescence actuelle? Il faut dire que sa destinée personnelle n’est pas banale.
«Je ne me dis pas féministe. Parce que cette étiquette attire encore, chez beaucoup d’hommes, toutes sortes de réactions énervées et détestables. Je suis égalitariste. Les hommes, les femmes, les homos, les lesbiennes, les trans, et tout ce que vous voulez, nous devons jouir des mêmes droits, des mêmes chances. Cela paraît tout simple. Mais quel temps cela a pris! J'ai quitté ma vie d'épouse avec enfant et je me suis mise en couple avec une femme. J'ai quitté mon job 'normal' pour me lancer dans les arts. A l’époque, c’était mal vu.
Ensuite je me suis engagée dans des associations LGBTQIA+, pour apporter mon aide et mon soutien. À l’époque, pas de mariage pour tous, mais par contre, et ce n’est que mon avis, il y avait moins de violence. Le mariage pour tous a soulevé la colère injustifiée des 'conservateurs', ceux qui voudraient continuer de vivre dans une société qui n’évolue jamais... et dire qu’on est continuellement obligés de se battre pour des droits qui sont naturels et normaux, s'agace-t-elle... bref. J’écrivais sur Facebook des coups de gueule liés à la vie quotidienne d’une lesbienne, et un mag' parisien, LP mag, m’a demandé d’écrire des chroniques.
À la suite de ça j’ai été repérée par Jeanne Magazine, (mag' lesbien) et j’ai écrit mon premier roman Another Me (l’histoire d’un garçon transsexuel).
J’ai également écrit Kamasutra lesbien (Ed. Musardine) qui cartonne, et pas seulement dans la communauté LGBT.»
Maryssa Rachel, dans sa resplendissante quarantaine, a une flamme particulière dans le regard: elle est curieuse de tout. Et libre, dans sa tête, dans son corps. C’est ce qui donne de la force à ses livres. Au fil d’un cheminement très moderne. Elle a commencé par s’éclater dans les milieux libertins. «Au début, j’ai cru que c’était l’héritage des Lumières, du libertinage à la façon du 18e siècle, une aventure intellectuelle… Bon, franchement, ce n’est pas tout à fait ça. Même pas du tout. Nombre de clubs parisiens n'acceptent pas les femmes en pantalons! Elles doivent être sexy, et les hommes classe... Mais j’ai trouvé intéressant de découvrir toutes ces attentes sexuelles, si diverses. J’en ai parlé sur les réseaux sociaux. Cela a été remarqué et cela a donné Décousue1 en 2015. Un récit plutôt léger. La suite, ce fut plus lourd… »
Car, derrière les jeux, il y a les blessures. Le personnage imaginé par Maryssa Rachel lui fait découvrir les pans les plus sombres de la sexualité: l’inceste, la zoophilie, le sado-masochisme. On en fait le tour dans le second opus de ce cycle: Outrages 2. Les libraires exigent un bandeau «réservé aux lecteurs avertis».
Mais que deviendra Rose, l’héroïne de toutes les audaces… et de toutes les paniques? Dans le cinquième ouvrage, Etat limite3, il n’y a plus de scènes sexuelles. Mais une descente aux enfers, minutieusement décrite. L’alcool, la drogue, les relations pourries, le dégoût de soi, les états «borderline». Les nuits et les jours qui s'emmêlent. Le visage et le corps qui se défont. L’enfermement, les médecins, l’envie et la peur de partir. Maryssa Rachel décrit cette dérive dans un langage direct, d’une vivacité qui le rend crédible. «J’ai voulu raconter ce qui ne se dit pas, ce que l’on n’ose pas raconter quand on est dans cette situation, ce que l'on ne veut pas voir quand on la côtoie chez les autres», s’explique-t-elle. Les abîmes sont devenus son domaine d'exploration. En américain, on parle de kmart ou de dirty realism.
La production littéraire française, dans le sillage de Houellebecq, fait une large place à la description des vies et des paysages tristounes. La banalité sans espoir, même pas désespérée. Maryssa Rachel ne suit pas cette tendance qui fait florès sur les plateaux de télé avec fond de gilets jaunes. Cette femme embrasée fait plutôt entendre ce que l'on ne veut pas entendre. Elle plonge son verbe là où cela fait le plus mal, au plus profond des vertiges, des tripes, du sexe, du cul, du regard perdu vers le plafond de la clinique ou vers le ciel sans pluie ni soleil. Ce n’est pas précisément ce que cherchent les éditeurs et les magazines. Personne ne voulait de cet Etat Limite. C’est 5 Sens, une petite maison d’édition lausannoise, créée en 2015 par deux soeurs, Anne Lise et Chloé Wittwer, qui a retenu ce manuscrit courageux. On l’en félicite. Et l’on se demande où cette bouillonnante Maryssa nous entraînera demain. Après les tréfonds sordides, quelques lueurs? A en juger par celles de son regard, il n'est pas interdit de l'espérer.
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