Actuel / Les ramasseurs de déchets, grands perdants du récit dominant sur la pollution plastique
A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. Pour être vraiment juste, le traité devrait s’attaquer aux inégalités au cœur des systèmes actuels de recyclage et de gestion des déchets. Des ramasseurs informels, souvent en situation de grande pauvreté et résident en Asie, Amérique du Sud ou en Afrique, sont en effet au cœur de l’économie des déchets, où ils jouent un rôle essentiel.
Manisha Anantharaman, Sciences Po
A Busan, en Corée du Sud, les discussions sur le traité mondial sur la pollution plastique, qui se tenaient du 25 novembre au 1er décembre, se sont soldées par un échec. Les négociations devraient reprendre à une date ultérieure.
En réalité, les négociations sont surtout sont le théâtre de récits concurrents qui s’affrontent. En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.
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D’un côté, la Coalition de haute ambition (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de nombreux scientifiques insistent sur la nécessité d’une approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques, y compris leur production.
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De l’autre côté, une petite minorité d’Etats ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. Au lieu de cela, ils accusent des systèmes de recyclage inadéquats et une mauvaise gestion des déchets.
L’attention portée au recyclage des plastiques et à la gestion des déchets touche en réalité des millions de personnes en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Il s’agit des travailleurs qui récupèrent, réutilisent ou revendent les plastiques, les textiles, l’aluminium et d’autres matériaux précieux issus des déchets.
Dans le cadre du traité sur les plastiques, pour que ces travailleurs informels soient reconnus, que leurs conditions de travail puissent être améliorées et qu’ils puissent bénéficient d’une transition écologique plus équitable, les solutions politiques doivent aller au-delà des mécanismes économiques basés sur le seul marché et des stratégies axées sur le profit.
Si ce n’est pas le cas, les efforts en faveur d’un recyclage plus inclusif et du développement de l’économie circulaire risquent de renforcer les injustices mêmes qu’ils prétendent combattre.
Qui sont les ramasseurs informels de déchets?
Les collecteurs de déchets – et les autres personnes travaillant avec eux dans un cadre informel et coopératif – effectuent une grande partie du travail de recyclage à l’échelle mondiale. Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.
Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace. L’absence de reconnaissance officielle de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent aggraver ces menaces en accélérant la privatisation du traitement des déchets.
Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:
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Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.
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En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.
Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.
Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?
La transition juste est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.
Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de responsabilité élargie des producteurs (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les femmes et d’autres groupes vulnérables.
Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la Business Coalition for a Plastics Treaty, les dirigeants des Nations unies et même l’industrie pétrochimique.
Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.
Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.
Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.
« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?
Dans mon livre Recycling Class, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.
Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.
La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.
Pour remplir leurs obligations en matière de responsabilité élargie des producteurs (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des crédits plastique.
Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.
Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.
Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.
Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage.
A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des stigmates sociaux bien ancrés qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. Ils restent toujours relégués aux mêmes tâches manuelles et difficiles, même si leurs conditions de travail en ressortent légèrement améliorées.
L’industrie du plastique maintient le statu quo
Malgré les bonnes intentions de départ, des termes tels que «économie circulaire inclusive» sont donc trop souvent utilisés à des fins de green washing et même de justice washing, tandis que les travailleurs continuent à endurer des conditions difficiles. Une étude de Circle Economy souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.
En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.
Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des zones sacrifiées. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.
En promouvant des technologies de recyclage chimique non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises pétrochimiques et de matières plastiques s’approprient le langage de l’économie circulaire. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le statu quo sur les inégalités.
Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.
Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché
Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire.
En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.
Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.
Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.
Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.
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