Actuel / Les enfants du don de sperme ne sont plus des enfants: ils veulent leur révolution
La France s’apprête à institutionnaliser la fabrication d’enfants sans père: un pas énorme dans l'extension de l'aide médicale à la procréation. Mais les premières concernées, à savoir les personnes nées du don de sperme, restent exclues du débat. Et interdites d'accès à leurs origines génétiques dans un pays qui s'accroche à l'anonymat du donneur. Vertiges d'avenir avec François Ansermet, membre du Comité d’éthique.
«Dans le meilleur des cas, on nous infantilise. Le plus souvent, on nous ignore. Nous sommes totalement exclus d’un échange qui se joue entre «sages» et «spécialistes». Vincent Brès, 38 ans, deux enfants, ingénieur et président de l’association Procréation Médicalement Anonyme, appartient à la première génération des Français issus de don de sperme. Quelque part, dans un registre médical, est consigné le nom de l’homme auquel il doit la moitié de son héritage génétique. Mais la loi française lui en interdit l’accès: elle s’accroche au principe de l’anonymat du don, pourtant abandonné dans la majorité des pays européens (dont la Suisse) au nom du droit fondamental à connaitre ses origines.
Les membres de PMAnonyme se battent pour la levée de cet anonymat. Mais aussi pour la place qui leur revient dans tout débat sur l’aide médicale à la procréation (AMP). Ce n’est pas encore gagné. Ainsi, fin juin, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) français rendait son avis sur la vertigineuse question dite de l’«AMP pour toutes». Cela sans avoir jugé utile de consulter l’association des enfants issus du don. En vain, PMAnonyme a réclamé une audition, a-t-elle fait savoir après la promulgation de l’avis. Tout ce qu’elle a obtenu, c’est un entretien téléphonique au cours duquel on lui a expliqué que sa préoccupation était hors sujet.
Vrai et faux. La question étudiée par le CCNE était la suivante: l’aide à la procréation a été conçue pour pallier l’infertilité qui empêche certains couples d’avoir des enfants. Mais aujourd’hui, à cette demande médicale, s’ajoute la demande dite «sociétale» des femmes seules ou des couples homosexuels. En clair, des personnes qui veulent des enfants sans passer par l’accouplement hétérosexuel. Faut-il accéder à cette demande? Le Comité d’éthique français a répondu oui, sauf pour ce qui concerne le recours aux mères porteuses. Conséquence: il y aura, en France, de plus en plus d’ «orphelins génétiques», comme les appelle le biologiste Jacques Testart. «Ces enfants sont les premiers concernés, proteste Vincent Brès. Quoi qu’on pense de l’extension de l’AMP, cette dernière aboutit à la création d’une personne et cette personne devrait être au centre du débat.»
Institutionnalisation de l’enfant sans père
La question de l'anonymat du don ne pourra plus être ignorée en France encore longtemps, prévoit François Ansermet, auteur de La fabrication des enfants. Un vertige technologique (Odile Jacob): «Le recours de plus en plus fréquent à l’insémination artificielle avec donneur va inévitablement la remettre sur la table.» Grand penseur du mystère des origines, le chef de la pédopsychiatrie genevoise est également membre du CCNE français. Il fait partie de la majorité du Comité qui s’est prononcée pour l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules: parce que «c’est une réalité déjà existante», techniquement et sociologiquement, et qu’elle «n’implique pas de violence éthique» contrairement à la gestation pour autrui.
Le professeur romand n’en mesure pas moins l’importance du pas franchi par la France (alors que le don de sperme reste réservé, en Suisse, aux couples mariés): «Des enfants sans père, il y en a beaucoup, ce sont les aléas de la vie. Mais l’institutionnalisation médicale de la fabrication d’un enfant sans père, c’est autre chose, et c’est loin d’être anodin.»
Pourquoi en accepte-t-il l’idée, alors? Parce que la «réinvention de la filiation» est une donnée de notre époque à laquelle on n’échappe pas, argue-t-il. Parce que, de toute façon, les nouvelles techniques de procréation créent une série de «disruptions» – entre sexualité et procréation, entre procréation et filiation, entre transmission génétique et filiation – génératrices de nouvelles relations. Et que «nous n’avons d’autre choix que d’inventer des manières inédites de penser et nommer ces réalités nouvelles.» Ainsi, prévoit François Ansermet, si le recours de plus en plus fréquent à la procréation assistée va amplifier la question du donneur, cette dernière ne sera pas la seule. «La question du père», comme on vient de le voir, se posera avec une acuité inédite. Tout comme celle de «la mère incertaine», un sujet d'avenir encore peu thématisé.
Avènement de «la mère incertaine»
De quoi s’agit-il? François Ansermet puise des exemples dans sa clinique. Celui d’un couple de femmes qui, par souci d’être également impliquées dans la maternité, «s’arrange pour que l’une donne l’ovule, l’autre prête l’utérus. Au moment où ces femmes se séparent, la question se pose: qui est la vraie mère?» La thématique du parent incertain touche aussi les couples d’hommes qui recourent à la gestation pour autrui. François Ansermet cite le cas de ce couple de banquiers, parti en Inde s’assurer les services d’une mère porteuse. Pour égaliser les paternités, ils ont chacun fécondé un ovule et commandé une naissance gémellaire. La grossesse à risque s’est mal terminée, les enfants sont nés prématurés et l’un d’eux est autiste. «Ces deux hommes ne savent pas qui est l’enfant de qui. Ils se demandent s’ils doivent chercher la réponse. Le jour où ils se séparent, cette question risque de faire mal…»
Vertige technologique, vertige humain. Dans ce contexte, «on ne peut pas continuer à se calquer sur le modèle ancien de papa-maman, il faut inventer de nouveaux mots, de nouvelles narrations, pense François Ansermet, perplexe d’entendre telle femme parler de son «mari» pour désigner sa compagne.
La transparence sur le donneur fait partie des conditions indispensables à la réinvention de la filiation et à l’avènement de ce que la sociologue Irène Théry appelle la «polyfamille» de demain; c’est la conviction du professeur genevois. Qui ne cesse de s’étonner un «gouffre culturel» qui sépare la France et la Suisse à cet égard. «En Suisse, le droit à connaître ses origines est inscrit dans la Constitution. En levant l’anonymat du don, en 2001, le législateur n’a fait que mettre fin à une pratique anticonstitutionnelle.» Grosso modo, toute l’Europe du Nord a fait de même ces dernières décennies, tandis que la France, l’Italie, l’Espagne s’accrochent à l’anonymat. Un clivage catholiques/protestants? Institution/individu? Vincent Brès n’a pas d’explication générale: «Ce que je vois en France, c’est que le corps médical a confisqué la question et ne veut rien céder de son pouvoir.»
Pas de questions, pas de souffrance?
Mais les jours de son règne sont comptés, prédit le président de PMAnonyme: grâce à Audrey Kermalvezen, cofondatrice de l’association avec son mari Arthur, la question de l’anonymat du don en France occupe actuellement la Cour européenne des droits de l’homme. «Nous sommes persuadés que la France va être condamnée», se réjouit Vincent Brès. Et comme une révision de la loi sur la bioéthique est prévue pour 2018, les «orphelins génétiques» ont bon espoir de voir le gouvernement Macron régler la question d’ici là.
Les enfants à venir des Français nés de «spermatozoïde inconnu» auront donc peut-être le droit, à leur majorité, de connaître l’identité de leur donneur, comme c’est le cas pour les Suisses nés après 2001. Seront-ils nombreux à faire valoir ce droit? Certains reprochent aux combattants de la transparence d’être une minorité d’excités et assurent que la plupart des d’enfants du don n’ont aucune envie d’en savoir plus.
Argument fallacieux puisqu’une majorités de ces enfants, encore aujourd’hui, ignorent les conditions de leur conception: les parents ont préféré faire comme si. Mais même lorsque le mensonge pur et simple n’est pas possible, il y a manière et manière de dire la vérité. Une étude belge portant sur l’image du donneur chez les enfants de couples lesbiens a conclu que les petits posent, de fait, peu de questions. Mais c'est parce qu’ils ont compris que les questions ne sont pas les bienvenues.
Fort de son expérience, François Ansermet approuve cette interprétation: «Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de questions qu’il n’y a pas de souffrance. Le thème du donneur reste un tabou, un sujet scotomisé. On en parle le moins possible. Un enfant, deux femmes, cela soulève des interrogations. Mais au lieu de faire face à un nouveau récit, on continue de faire comme si on était chez Ken et Barbie…»
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