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Actuel / Lega et 5 étoiles – 5 raisons d’y croire, 5 raisons de ne pas y croire

Chantal Tauxe

22 mai 2018

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Le feuilleton politique romain touche-t-il à sa fin? Le président Sergio Mattarella va-t-il introniser le gouvernement que Luigi Di Maio et Matteo Salvini lui ont proposé? En attendant son verdict, analysons les chances de survie d'une coalition populiste qui affole les partenaires européens et les marchés financiers.



Giuseppe Conte. Après 77 jours de palabres, les deux vainqueurs des élections du 4 mars, Luigi Di Maio et Matteo Salvini sont «montés» lundi en fin d'après-midi au Palais du Quirinale – selon le jargon romain - proposer le nom d’un parfait inconnu, professeur de droit civil et administratif, jamais élu, comme premier ministre. 

Que va faire Sergio Mattarella, le président de la République? Valider le choix des leaders du Mouvement 5 étoiles et de la Lega? Recadrer leur feuille de route? Vraisemblablement les deux. Sa marge de manœuvre n’est pas immense. L’option d’un exécutif technique paraît à ce stade irréalisable, compte tenu des rapports de forces au Parlement. Les deux partis représentent 51% des voix, donc une courte majorité des Italiens. La prétention de cette coalition à diriger l’Italie est parfaitement légitime. 

L'affaire ne va pas sans un zeste de cynisme. Pour vacciner les Italiens contre les dérives populistes, il faut que leur échec soit imputable aux agissements des deux partis vainqueurs, pas à des manœuvres politiciennes. L’expérience se doit d’être tentée. Mais Mattarella entend faire respecter la Constitution: c’est à lui qu’il incombe de nommer le président du conseil et les autres ministres. Pas question de jouer les notaires avalisant sans retouches le contrat contraignant et la liste de papables que les deux compères ont élaborée. En attendant ses décisions, évaluons les chances de ce gouvernement inédit de durer… ou pas.

Pourquoi ça va durer

Bonne volonté.Tant Di Maio que Salvini ont fait preuve de bonne volonté. Tous deux se rêvaient premier ministre, aucun ne le sera. Les deux jurent avoir pour seule préoccupation «l’intérêt des Italiens», ils ont l’occasion de le prouver. C’est leur moment: l’histoire ne leur donnera pas d’autres occasions d’exercer leurs responsabilités s’ils ratent ce coup. Le Mouvement 5 étoiles a certes peu d’expérience dans la conduite du pays, mais la Lega est moins novice: elle a participé aux exécutifs dirigés par Silvio Berlusconi. Enfin, que la Lega, profondément nordiste et sécessionniste, ait avalisé comme premier ministre Giuseppe Conte, un homme du Sud (il est né près de Foggia dans les Pouilles), démontre un esprit constructif.

Européens magnanimes. Les partenaires européens sont inquiets, mais ils ont intérêt à se montrer magnanimes avec un pays fondateur de l'UE. Emmanuel Macron pourrait utiliser la situation pour obtenir un peu de souplesse de la part d’Angela Merkel afin de relancer ses projets de réforme de la zone euro. Les Italiens disposent en outre d’un levier pour se faire un tant soit peu respecter par l’UE. En matière de flux migratoires, s’ils décident de ne plus rien stopper, ce sera le chaos plus au Nord (et donc en Suisse aussi).
L’atout Draghi. Sur le plan économique, les buts du nouveau gouvernement sont nobles: il veut combattre le chômage et redonner du pouvoir d’achat aux Italiens. Les marchés financiers pourraient être tentés de spéculer sur la dette italienne et tester la solidité de la zone euro. Mais un autre Transalpin va veiller au grain, en tout cas jusqu’en novembre 2019, c’est Mario Draghi, à la tête de la BCE.
Il faut changer la loi électorale. Lors de la précédente législature, il avait déjà été diablement compliqué de former un gouvernement. L’alliage Parti Démocrate et Forza Italia semblait aussi contre nature et voué à l’échec, il a pourtant duré cinq ans, non sans quelques vicissitudes. Une bonne partie de la classe politique estime qu’il faut modifier la loi électorale. Matteo Renzi s’était même piqué de modifier la Constitution pour cela, en vain. Réécrire une loi électorale demande du temps… autant que cet exécutif-là se colle cet ingrat travail.

Il n’y a pas d’alternative. On ne peut pas vraiment dire que le Parti Démocrate et Forza Italia sont des partis gouvernementaux traditionnels tant l’histoire politique italienne récente a connu d'implosions et de recompositions. Mais ce qui est sûr, à ce stade, c’est qu’ils sont sortis tous deux laminés des élections du 4 mars. Avant de prétendre incarner une alternative, ils doivent se repositionner et se doter de leaders crédibles. Pas sûr que Matteo Renzi et Silvio Berlusconi souscrivent sans heurts à cette nécessité. La reconstruction risque d’être longue. Les élections européennes en mai de l’année prochaine serviront de premier baromètre.

Pourquoi ça ne va pas durer

Tout et son contraire. Le programme de gouvernement fabriqué par Di Maio et Salvini n’est ni cohérent, ni finançable. Il contient des baisses d’impôts et de nouvelles prestations sociales alors que l’Italie reste le pays le plus endetté de la zone euro. A l’annonce d’un tel menu, le spread (le différentiel des taux d’intérêts entre les bons du trésor allemands et italiens) a pris 30%. En 2011, c’est déjà l’envol du spread qui avait eu la peau de Silvio Berlusconi, auquel avait succédé le gouvernement technique du professeur Monti, chargé de remettre la péninsule dans les clous budgétaires euro-orthodoxes.
La révolte des adhérents. Le Mouvement 5 étoiles n’a pas de culture de gouvernement. Au moindre renoncement sur l’autel du réalisme, la base va se révolter et hurler à la trahison via les réseaux sociaux - on l’a vue tonner quand Di Maio a essayé de s’entendre avec le PD. Et que dira Beppe Grillo, créateur du Mouvement, resté étrangement muet depuis les élections, lui qui a l’imprécation et l’excommunication si faciles?

Qui sera le patron? Beaucoup d’experts expriment de gros doutes sur la manière dont peut fonctionner le gouvernement: le premier ministre Conte, sans expérience politique, aura-t-il l’autorité pour s’affranchir de la double tutelle de Luigi Di Maio et de Matteo Salvini, à qui il doit tout? Où se feront les arbitrages? Au Conseil des ministres - où les deux leaders - siègeront ou en marge? Le contrat de gouvernement prévoit également des limitations à la liberté de vote des parlementaires des deux groupes. Les clashs sont programmés.
Recadrage européen. La zone euro est sortie à grand peine d’une décennie de crise. Si les marchés financiers continuent à s’emballer, comme ils l’ont fait à l’annonce du programme négocié par le duo, les partenaires européens ne voudront pas étouffer la reprise économique qui s’est tant fait attendre et siffleront la fin de la partie (voir ci-dessus).
Le sursaut de l’opposition. Le 4 mars dernier, les électeurs ont surtout sanctionné Matteo Renzi et Silvio Berlusconi, qui leur avaient tant promis et qui les ont tant déçus. Mais le centre gauche comme le centre droite ne se réduisent pas à ces deux titans à l’égo surdimensionné. D’autres forces vives existent. Face à l’émergence d’un gouvernement populiste, eurosceptique et prêt à bafouer les droits humains, le sursaut du PD pourrait advenir rapidement. Quant aux milieux économiques, ils vont désormais peser de tout leur poids pour que se reconstitue un parti de droite sérieux. Au parlement, le PD et Forza Italia promettent de pratiquer une opposition républicaine sans concession. L’attelage 5 étoiles-léghiste ne devrait pas résister longtemps à un double pilonnage.

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