Actuel / Lega et 5 étoiles – 5 raisons d’y croire, 5 raisons de ne pas y croire
Le feuilleton politique romain touche-t-il à sa fin? Le président Sergio Mattarella va-t-il introniser le gouvernement que Luigi Di Maio et Matteo Salvini lui ont proposé? En attendant son verdict, analysons les chances de survie d'une coalition populiste qui affole les partenaires européens et les marchés financiers.
Giuseppe Conte. Après 77 jours de palabres, les deux vainqueurs des élections du 4 mars, Luigi Di Maio et Matteo Salvini sont «montés» lundi en fin d'après-midi au Palais du Quirinale – selon le jargon romain - proposer le nom d’un parfait inconnu, professeur de droit civil et administratif, jamais élu, comme premier ministre.
Que va faire Sergio Mattarella, le président de la République? Valider le choix des leaders du Mouvement 5 étoiles et de la Lega? Recadrer leur feuille de route? Vraisemblablement les deux. Sa marge de manœuvre n’est pas immense. L’option d’un exécutif technique paraît à ce stade irréalisable, compte tenu des rapports de forces au Parlement. Les deux partis représentent 51% des voix, donc une courte majorité des Italiens. La prétention de cette coalition à diriger l’Italie est parfaitement légitime.
L'affaire ne va pas sans un zeste de cynisme. Pour vacciner les Italiens contre les dérives populistes, il faut que leur échec soit imputable aux agissements des deux partis vainqueurs, pas à des manœuvres politiciennes. L’expérience se doit d’être tentée. Mais Mattarella entend faire respecter la Constitution: c’est à lui qu’il incombe de nommer le président du conseil et les autres ministres. Pas question de jouer les notaires avalisant sans retouches le contrat contraignant et la liste de papables que les deux compères ont élaborée. En attendant ses décisions, évaluons les chances de ce gouvernement inédit de durer… ou pas.
Pourquoi ça va durer
Bonne
volonté.Tant Di Maio que Salvini ont fait preuve de bonne volonté. Tous deux
se rêvaient premier ministre, aucun ne le sera. Les deux jurent avoir pour
seule préoccupation «l’intérêt des Italiens», ils ont l’occasion de
le prouver. C’est leur moment: l’histoire ne leur donnera pas d’autres
occasions d’exercer leurs responsabilités s’ils ratent ce coup. Le Mouvement 5
étoiles a certes peu d’expérience dans la conduite du pays, mais la Lega est
moins novice: elle a participé aux exécutifs dirigés par Silvio
Berlusconi. Enfin, que la Lega, profondément nordiste et sécessionniste, ait
avalisé comme premier ministre Giuseppe Conte, un homme du Sud (il est né près
de Foggia dans les Pouilles), démontre un esprit constructif.
Européens magnanimes. Les partenaires européens sont
inquiets, mais ils ont intérêt à se montrer magnanimes avec un pays fondateur de l'UE. Emmanuel Macron
pourrait utiliser la situation pour obtenir un peu de souplesse de la part
d’Angela Merkel afin de relancer ses
projets de réforme de la zone euro. Les Italiens disposent en
outre d’un levier pour se faire un tant soit peu respecter par l’UE. En matière
de flux migratoires, s’ils décident de ne plus rien stopper, ce sera le chaos
plus au Nord (et donc en Suisse aussi).
L’atout Draghi. Sur le plan économique, les buts
du nouveau gouvernement sont nobles: il veut combattre le chômage et
redonner du pouvoir d’achat aux Italiens. Les marchés financiers pourraient
être tentés de spéculer sur la dette italienne et tester la solidité de la zone
euro. Mais un autre Transalpin va veiller au grain, en tout cas jusqu’en
novembre 2019, c’est Mario Draghi, à la tête de la BCE.
Il faut changer la loi électorale. Lors de la
précédente législature, il avait déjà été diablement compliqué de former un
gouvernement. L’alliage Parti Démocrate et Forza Italia semblait aussi contre
nature et voué à l’échec, il a pourtant duré cinq ans, non sans quelques
vicissitudes. Une bonne partie de la classe politique estime qu’il faut
modifier la loi électorale. Matteo Renzi s’était même piqué de modifier la
Constitution pour cela, en vain. Réécrire une loi électorale demande du temps…
autant que cet exécutif-là se colle cet ingrat travail.
Il
n’y a pas d’alternative. On ne peut pas vraiment dire que le Parti Démocrate et
Forza Italia sont des partis gouvernementaux traditionnels tant l’histoire
politique italienne récente a connu d'implosions et de recompositions. Mais ce qui est sûr, à ce stade,
c’est qu’ils sont sortis tous deux laminés des élections du 4 mars. Avant de
prétendre incarner une alternative, ils doivent se repositionner et se doter de
leaders crédibles. Pas sûr que Matteo Renzi et Silvio Berlusconi souscrivent
sans heurts à cette nécessité. La reconstruction risque d’être longue. Les
élections européennes en mai de l’année prochaine serviront de premier baromètre.
Pourquoi ça ne va pas durer
Tout et son contraire. Le programme de
gouvernement fabriqué par Di Maio et Salvini n’est ni cohérent, ni finançable.
Il contient des baisses d’impôts et de nouvelles prestations sociales alors que
l’Italie reste le pays le plus endetté de la zone euro. A l’annonce d’un tel
menu, le spread (le différentiel des taux d’intérêts entre les bons du trésor
allemands et italiens) a pris 30%. En 2011, c’est déjà l’envol du spread qui
avait eu la peau de Silvio Berlusconi, auquel avait succédé le gouvernement
technique du professeur Monti, chargé de remettre la péninsule dans les clous
budgétaires euro-orthodoxes.
La révolte des adhérents. Le Mouvement 5 étoiles
n’a pas de culture de gouvernement. Au moindre renoncement sur l’autel du
réalisme, la base va se révolter et hurler à la trahison via les réseaux
sociaux - on l’a vue tonner quand Di Maio a essayé de s’entendre avec le PD. Et
que dira Beppe Grillo, créateur du Mouvement, resté étrangement muet depuis les
élections, lui qui a l’imprécation et l’excommunication si faciles?
Qui
sera le patron? Beaucoup d’experts expriment de gros doutes sur la
manière dont peut fonctionner le gouvernement: le premier ministre Conte,
sans expérience politique, aura-t-il l’autorité pour s’affranchir de la double
tutelle de Luigi Di Maio et de Matteo Salvini, à qui il doit tout? Où se
feront les arbitrages? Au Conseil des ministres - où les deux leaders - siègeront ou en marge? Le contrat de
gouvernement prévoit également des limitations à la liberté de vote des
parlementaires des deux groupes. Les clashs sont programmés.
Recadrage européen. La zone euro est sortie à
grand peine d’une décennie de crise. Si les marchés financiers continuent à
s’emballer, comme ils l’ont fait à l’annonce du programme négocié par le duo,
les partenaires européens ne voudront pas étouffer la reprise économique qui
s’est tant fait attendre et siffleront la fin de la partie (voir ci-dessus).
Le sursaut de l’opposition. Le 4 mars dernier, les
électeurs ont surtout sanctionné Matteo Renzi et Silvio Berlusconi, qui leur
avaient tant promis et qui les ont tant déçus. Mais le centre gauche comme le centre
droite ne se réduisent pas à ces deux titans à l’égo surdimensionné. D’autres
forces vives existent. Face à l’émergence d’un gouvernement populiste, eurosceptique
et prêt à bafouer les droits humains, le sursaut du PD pourrait advenir
rapidement. Quant aux milieux économiques, ils vont désormais peser de tout
leur poids pour que se reconstitue un parti de droite sérieux. Au parlement, le
PD et Forza Italia promettent de pratiquer une opposition républicaine sans
concession. L’attelage 5 étoiles-léghiste ne devrait pas résister longtemps à
un double pilonnage.
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