Actuel / Le vendredi, c’est transition
A Genève le vendredi, des personnes de tous horizons se réunissent pour discuter de monnaie complémentaire, de l’initiative Genève 0 pub, du moratoire sur la 5G… Pour un monde en transition post-spéculation et post-carbone, qui oscille entre économie solidaire et décroissance.
Il fut un temps où le vendredi était jour de jeûne. Désormais c’est le jour où l’on réfléchit à une vie plus frugale pour respecter les limites de la planète. Du moins à Genève, où une vingtaine de personnes se retrouvent à la Maison des Associations pour les Vendredis de la transition, une initiative lancée par les Quartiers collaboratifs et Monnaie Léman, en collaboration avec le Colibri, le mouvement de Pierre Rabhi, et animée notamment par Jean Rossiaud, député au Grand Conseil. C’est l’expression locale des Villes en transition – vers un monde post-carbone, post-nucléaire et post-spéculation –, un mouvement lancé en 2006 en Grande Bretagne par Rob Hopkins, devenu mondialement célèbre grâce au film Demain – et dont il existe un Demain Genève et un Après-demain.
«Nous avons quatre slogans: il existe des solutions immédiates et concrètes au dérèglement climatique; chacun doit faire sa part; faisons de nos quartiers des communs et des logiciels libres; sortons nos Lémans comme une carte d’identité de la transition, nous explique l’élu Vert. L’idée est de réinventer la production, la consommation, la démocratie et la gouvernance. Moi, j’ai lancé la monnaie locale le Léman, qui est une initiative immédiate et concrète pour relocaliser la production et la consommation en les orientant vers la durabilité.»
8000 monnaies locales dans le monde, dont une quinzaine en Suisse
Il y a 8000 monnaies locales dans le monde, dont une quinzaine en Suisse, nées pour la plupart après la crise financière de 2008. «On s’est beaucoup inspirés du Wir, une monnaie créée après la crise de 1929 par des entrepreneurs pragmatiques de Zurich et de Bâle. Ils se sont dit qu’il n’y avait pas de raison que la crise à New York, qui avait asséché les marchés financiers, se répercute en Suisse, où il y avait l’un des meilleurs appareils productifs d’Europe, des employés qualifiés et des clients pour leurs produits. Ils ont donc lancé une monnaie qui fonctionnait comme une sorte de troc multilatéral, un crédit mutualisé pour que l’argent circule localement.»
Même si elles visent à relocaliser la production et la consommation, les monnaies locales n’échappent pas à l’idée que la richesse d’un pays se mesure à la somme de ses transactions. «Les entreprises qui adoptent le Léman veulent participer à la création de richesse, précise Jean Rossiaud, mais en s’orientant collectivement vers la durabilité. Plus on travaille en Léman, plus on fait croître l’économie durable au détriment de l’économie gaspilleuse et spéculative. Nos entreprises désirent redonner du sens à leurs services et proposer des prix 'justes'. Aujourd’hui, 550 entreprises acceptent cette monnaie dans le bassin lémanique, dont 75% à Genève. De plus en plus de communes s’y mettent aussi officiellement.»
Il précise que l’objectif des Vendredis de la transition, c’est d’offrir un espace à toute personne qui a une idée de projet et veut faire quelque chose d’immédiat et concret. Il y a eu des jardins urbains, un collégien qui voulait vendre des Lémans dans son collège, un projet 0 déchets dans l’éco quartier de Meyrin... L’un des succès les plus fulgurants du mouvement, c’est le moratoire sur la 5G: l’idée est née un vendredi, la Coordination genevoise pour le moratoire a été lancée le vendredi suivant, avec communiqué de presse, envoi de la lettre à toutes les communes et circulation de la pétition suisse. Dans la foulée, les cantons de Genève et Vaud viennent de décréter un moratoire sur l’installation des antennes 5G tant que l’impact sur la santé n’a pas été étudié.
Initiative Genève 0 pub validée le 17 avril
Un autre succès majeur des Vendredis de la transition, c’est l’initiative Genève 0 pub, qui devrait être validée – ou pas – par le Conseil d’Etat fin avril. «L’initiative a été lancée par le Réseau d’Objection de Croissance (ROC) en janvier 2017 lorsque, suite au changement du concessionnaire de publicité, on a vu fleurir en ville des panneaux blancs qui ont été tout de suite colonisés par des mouvements populaires artistiques, nous raconte Lucas Luisoni, du ROC Genève. Au sein des Vendredis de la transition, avec d’autres organisations comme le GLIP, le Collectif Genève sans publicité et les Quartiers collaboratifs, on a mis en place un mécanisme pour aboutir à une initiative municipale afin de libérer les rues de la publicité commerciale. Celle-ci a recueilli les 4000 signatures nécessaires. Le Conseil d’Etat a décrété que cette initiative n’était que partiellement constitutionnelle, mais nous avons fait recours auprès de la Chambre constitutionnelle et nous avons gagné. Le 17 avril, le Conseil d’Etat a déclaré l’initiative valide. Il va maintenant l’envoyer au Conseil administratif de la Ville, qui décidera s’il la met en œuvre directement ou s’il la fait passer en votation populaire.»
Pour le ROC, la publicité est un moteur de croissance économique qui entraîne la diminution des ressources en transformant nos désirs en besoins. Le Réseau est né en 2008 – une date charnière, qui a marqué un véritable tournant dans les réflexions sur une économie alternative. Suite à la célébration de la journée mondiale sans achats, des gens ont voulu susciter une prise de conscience sur la fièvre acheteuse, «car aujourd’hui les ressources disponibles diminuent. Décroissance c’est un terme coup de poing, qui n’existe même pas en économie car on préfère parler de croissance négative. Pourtant, il est urgent de réfléchir à une économie qui respecte l’environnement et ne creuse pas encore davantage l’écart entre les revenus», ajoute Lucas Luisoni.
La décroissance, surtout pour les riches
Quelle est alors la différence entre décroissance et récession? «La décroissance c’est la reconnaissance que l’on peut vivre mieux avec moins. C’est la frugalité heureuse, dans le sens des mouvements de protection de l’environnement.» Mais peut-elle s’appliquer à tout le monde? «J’ai travaillé au Niger, où les gens survivent avec moins de 2 USD par jour. C’est évident que dans ce pays il faut une croissance soutenue – même 6% - 7% par an ce n’est pas assez vu l’augmentation de la population. La décroissance doit commencer par les riches, que ce soit les pays riches ou les riches au sein de ceux-ci. Car l’effet de ruissellement défendu par le système capitaliste, à savoir l’idée que tôt ou tard la croissance finira par bénéficier à tout le monde, ne marche pas.»
Nous insistons: la décroissance n’entraîne-t-elle pas le chômage? «Cela dépend des mécanismes de l’emploi mis en place, répond Lucas Luisoni. Il faudrait une répartition plus équitable du travail et une réflexion sur quel travail pour quel argent. Si on achète tout sur internet pour passer plus de temps en famille, un jour nos enfants vont se retrouver à travailler toute la journée dans un hangar pour Amazon. De toute façon, avec la robotisation, il y aura une réduction du besoin de travail. Il faudra réinventer de nouveaux emplois dans le domaine social et relationnel, ou accepter le principe du revenu de base universel, que nous avons défendu.»
Le représentant du ROC Genève en est convaincu: le discours sur la décroissance est de plus en plus audible. Il affirme que le mouvement représente 15% de la population mondiale qui cherche des solutions dans la transition, la relocalisation de l’économie, le partage plus équitable, la réparation plutôt que l’obsolescence programmée – bref des dynamiques qui permettent d’envisager l’avenir avec moins de scepticisme. «Car on ne peut pas imaginer un monde avec un futur viable sans réfléchir à un changement radical de modèle économique».
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