Actuel / Le trésor volé de la Roumanie
Le vol, dans la nuit du 25 janvier, de plusieurs pièces archéologiques roumaines prêtées à un petit musée hollandais, met la Roumanie en émoi. Dans un pays agité par la campagne présidentielle qui s’amorce – les dernières élections ayant été annulées avec l’appui de l’UE – l’affaire prend désormais un tour politique.
La Roumanie, pays membre de l’UE et de l’OTAN, est en fièvre, bien que les médias en parlent peu. Traumatisé par l’annulation des élections présidentielles, le 6 décembre dernier. Agité par la campagne qui s’amorce en vue d’un retour aux urnes, le 6 mai. Choqué par le vol, dans la nuit du 25 janvier, de plusieurs pièces archéologiques roumaines prêtées au petit musée hollandais de Drenthes, à Assen. Elles sont considérées comme un trésor, un ancrage dans l’antique civilisation de la région, les Daces. Une part de l’identité du pays.
Les voleurs ont emporté trois bracelets royaux ainsi que le casque en or de Cotofenesti, la pièce maîtresse de l’exposition, datant des années 450 av. J.-C. Ce casque est un «joyau», a souligné l’historien Dimitri Tilloi-d’Ambrosi. «La Dacie était un royaume assez puissant au nord du Danube, connu pour ses mines d’or et d’argent. Le casque est antérieur à l’époque romaine et contemporain de la Grèce classique». La Roumanie est en émoi. Bien qu’elle puisse espérer le retour de ses biens car trois suspects ont été arrêtés. Beaucoup se demandent comment il a été possible de prêter ainsi plus de 600 objets précieux à un modeste musée étranger, dépourvu de mesures de sécurité.
L’affaire prend un tour politique
Elle est particulièrement agitée sur les réseaux sociaux par les partisans de Calin Georgescu, le candidat indépendant arrivé en tête aux élections de décembre. Un «souverainiste» qui flatte la fibre patriotique. Habituellement désigné comme pro-russe, il se défend de tout lien avec Poutine mais souhaite ardemment la fin de la guerre en Ukraine. Cet ex-haut fonctionnaire de l’ONU, expert de l’agriculture durable, n’est pas non plus, comme on le dit, anti-UE et anti-OTAN, mais il veut mieux défendre les intérêts de son pays dans ces «clubs», selon son expression. Son adversaire principal, visant aussi la présidence, Crin Antonescu, ne peut rester indifférent à la dimension symbolique de ce vol: il est professeur d’histoire. Et doit donc s’envoler aussi dans les tirades mémorielles. C’est un vieux routier de la politique, engagé à droite dès la chute du communisme, dès 1990, plusieurs fois ministre, membre du parti de centre-droit PND, auquel pourrait se rallier le parti social-démocrate (PSD), tous deux alternant depuis 35 ans au pouvoir. Il est question d’une coalition pour faire barrage au trublion… ou pour trouver le moyen de l’écarter du jeu. A trois mois du vote, bien des surprises sont possibles. En attendant, le président sortant, Klaus Ioannis, discrédité dans tous les camps, joue les prolongations. Quand les chefs d’Etat sont réunis par l’OTAN, il n’est même plus invité.
Ne négligeons pas la sensibilité des populations de l’est
La joute électorale est chaude. D’autant plus que la commission de Venise, organe du Conseil de l’Europe qui veille au respect des règles démocratiques, et qui a notamment tancé plusieurs fois la Pologne et la Hongrie, a émis un avis de droit plutôt favorable à Calin Georgescu, empêché à tort de se défendre devant les autorités judiciaires et constitutionnelles, sans connaissance du dossier l’accusant d’avoir été soutenu par la Russie sur le réseau Tiktok qui lui a valu sa popularité.
Tout cela peut paraître compliqué. Les Européens de l’ouest feraient bien pourtant de se pencher sans manichéisme hâtif sur les mouvements d’opinions dans l’est du continent. Les sensibilités nationales y sont à vif. En Serbie, en Hongrie bien sûr. Mais aussi en Slovaquie, en Croatie… et en Roumanie. N’y voir que «populisme», «souverainisme» et «ingérence russe» est un peu court. Mais les dirigeants occidentaux, Ursula von der Leyen en tête, pourtant si impliqués dans la défense de la cause européenne lors des récentes élections en Géorgie et en Moldavie, ne jugent pas utile de considérer, au plan du droit et de l’opportunité politique, l’humiliation portée à 9 millions d’électeurs roumains dont les bulletins en faveur de Georgescu, dûment authentifiés, ont été jetés à la poubelle.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire