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Actuel / Le temps des populistes

Antoine Menusier

31 janvier 2020

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Dans Recomposition: le nouveau monde populiste, le Français Alexandre Devecchio, journaliste au Figaro et débatteur sur les plateaux télé, classé «réac» par les progressistes, qu’il ne ménage pas, rend justice aux «peuples» contre les «élites».



«Les populismes sont-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie?», demande, au début de son livre, Alexandre Devecchio. Inversons l’habituelle charge accusatoire, non pas pour absoudre un phénomène inquiétant, mais pour en analyser froidement les causes et les mécanismes, propose l’auteur de Recomposition: le nouveau monde populiste, un essai roboratif paru l’an dernier aux éditions du Cerf.

Responsable du Figarovox, le site d’opinions du Figaro pouponnière de la pensée réac aux yeux des progressistes, Devecchio, 33 ans, issu d’un milieu de modestes commerçants, des origines italiennes et portugaises, enfance et jeunesse en Seine-Saint-Denis valant totem de légitimité populaire, est l’arbre méritant qui cache la forêt d’une méritocratie républicaine asséchée. Il en est conscient, il le dit.

Elargissons la focale avec l’auteur: non seulement les démocraties occidentales, essentiellement européennes, certaines plus que d’autres, peinent à se relever du krach financier de 2008, mais elles sont en plus atteintes par un stress identitaire face «aux migrations massives» et à l’«islamisme». Au lieu de considérer ces faits comme des étapes difficiles, mais surpassables, sur la voie de l’unification mondiale, Devecchio affirme le primat du peuple et de la nation, garants de la démocratie contre la «technostructure», la gouvernance des juges et des experts.

Revanche des enracinés

S’appuyant, notamment, sur les travaux du géographe français Christophe Guilly et de l’historien américain Christopher Lasch, un «visionnaire», décédé en 1994, mais également sur les écrits de Francis Fukuyama, l’inventeur de la fin de l’histoire, et de Yascha Munk, l’auteur du best-seller Le peuple contre la démocratie, tous deux a priori bien moins favorables à sa thèse, Alexandre Devecchio fait des populismes la conséquence d’une fuite en avant des élites, les fameux «anywhere», les vernis de la mondialisation, qui partout se sentent à l’aise et chez eux. A l’inverse, le populisme est l’affaire des «somewhere», ces gens qui n’ont pas les moyens matériels et culturels du nomadisme heureux, ressentent un besoin d’enracinement et de sécurité, nécessitant des emplois et la préservation de coutumes.

Mais voilà que depuis quelque années, les «somewhere» tiennent leur revanche. Ils deviennent majoritaires ou jouent grandement de leur influence, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Hongrie, en Italie, au Danemark, de même qu’en Suisse et demain peut-être en France. Dans l’intervalle, la division classique entre gauche et droite a beaucoup perdu, non tant de sa consistance théorique que de sa consistance réelle dans l’exercice du pouvoir. L’irrationnel – illustré par les « fake news » – participe de la désacralisation des institutions, au bénéfice d’une sacralisation de la force.

Le peuple, vraiment?

Le grand intérêt de Recomposition, sa réussite, est de donner à voir ce qu’est le populisme sans pince sur le nez mais sans non plus lui donner quitus. Le livre, des plus fouillés, s’attarde avec maestria sur les cas espagnol, américain, italien, grec, français, allemand et britannique. De quoi parle-t-on? Devecchio pose la question du sens:

«Alors, quel est le peuple des populistes? Est-ce le demos, c’est-à-dire la communauté civique ? L’ethnos, c’est-à-dire la communauté ethnique, mais aussi culturelle ? Ou encore le peuple en tant que plebs, c’est-à-dire la partie déshéritée de la population: les classes populaires? En réalité, les populistes s’adressent en même temps à ces trois versions du peuple».

Autant dire qu’ils ratissent large. Comme Hitler en son temps? Impossible, pour Devecchio, d’ignorer les «années trente», qui seraient la matrice des populismes, insistent les tenants de la démocratie libérale, adversaires des démocraties dites illibérales, où prospère le populisme et ses coups de menton identitaires. L’auteur rétorque aux premiers que les populismes en question n’ont pas – pas encore – aboli la démocratie, qu’ils sont, pour l’heure, en demande de plus démocratie, sans doute sûrs de leur fait. Toutefois, Devecchio ne parvient pas vraiment à se dépatouiller de cet avant-guerre, terrible précédent. Aussi en rend-il pour beaucoup responsables les élites de l’époque, qui ont d’abord préféré la rigueur budgétaire, puis traiter avec le chancelier du futur IIIème Reich plutôt que de soutenir des politiques de relance économique avant l’avènement du nazisme. Et puis, soutient-il, ce ne sont pas les démocraties, par des majorités absolues, qui ont installé Mussolini et Hitler au pouvoir, mais des arrangements au plus haut sommet, à partir de victoires ou percées relatives.

Nation et identités

Devecchio innocente les «nationalismes» (en tout cas les vertueux, ceux de de Gaulle et de Churchill), qu’il oppose aux totalitarismes, les vrais fossoyeurs de la démocratie, désignant du doigt celui qui lui paraît actuellement le plus dangereux, l’islamisme. Cette démonstration repose principalement sur l’idée assez abstraite, quoique vivante, qu’Ernest Renan se faisait de la nation. Elle est cependant fragile, car elle tend à minimiser la dimension ethnique du peuple, peut-être la composante la plus sourde et la plus puissante du populisme – l’on pense à l’AfD en Allemagne, à la Ligue en Italie. La colère populiste en France, pays de brassage ethnique, est, elle, davantage dirigée contre les privilège de l’élite «médiatico-politique» et n’en est pas moins violente.

Devecchio n’écarte pas, d’ailleurs, la possibilité d’une tragédie provoquée par les populismes. La faute en incomberait au premier chef aux élites, celles des métropoles trop longtemps dans l’ignorance de la France des Gilets jaunes et des «sans dents», celles de l’«Amérique des côtes» prenant de haut avec Hilary Clinton les «déplorables» de l’intérieur soutenus par Donald Trump. Les élites – ceux qui tirent avantage et profit de la mondialisation – se méfient du peuple, notion trop homogène. Elles s’en détournent au profit d’une conception sans cesse évolutive, multiculturelle, de la société.

C’est alors la «tyrannie des minorités», combattue par les leaders populistes draguant le vote blanc et chrétien, le suscitant au besoin, de l’Américain Trump au Hongrois Orbán en passant par l’Italien Salvini, Marine Le Pen tâtant parfois du registre. Citant le grand Tocqueville, Devecchio ne plaide pas pour son contraire, la «tyrannie de la majorité», mais, comprend-on, pour un banal et précieux équilibre entre respect de la décision majoritaire et protection des minorités.

Dans son analyse, on notera encore les très bonnes pages consacrées aux échecs électoraux du «populisme de gauche», en France avec La France insoumise de Mélenchon, mais surtout en Espagne avec Podemos. En cause, chez l’une et chez l’autre, la notion par trop inconsistante de peuple, agrégat, jamais corps: addition de petits peuples divers et variés partageant un intérêt commun qui les unit, mais point rassemblés par un sentiment identitaire profond. L’émergence en Andalousie d’une formation nationaliste et populiste, Vox, dans un pays où l’extrême droite avait comme disparu, répond à deux phénomènes, selon Devecchio: le séparatisme catalan et l’arrivée sur les côtes méridionales espagnoles de réfugiés africains refusés par l’Italie de Salvini.

Ce n’est pas que le «nouveau monde populiste» donne envie, mais on peut relever, avec Alexandre Devecchio appelant in fine à la réconciliation du peuple et des élites, son rôle de «lanceur d’alerte» sur la nature des sociétés. Soit nous considérons qu’il y a peuple et nation, avec leurs caractéristiques culturelles, nonobstant la nécessaire tolérance envers les minorités, et se pose alors la question du périmètre de la souveraineté; soit nous ne considérons pas cela, mais à la place, un ou des ensembles abolissant, de fait, les nations, et alors nous nous engageons dans une voie conjuguant l’immense et le communautaire, ce qui pourrait déboucher, craint l’auteur, sur la guerre de tous contre tous, selon les règles mortifères de la balkanisation. Dans les années post-URSS, celles du triomphe du capitalisme, l’Organisation mondiale du commerce figurait l’ordre post-national avec à la clé la levée des barrières protectionnistes. Aujourd’hui, ce rôle est dévolu à l’urgence climatique. Est-elle gage de démocratie? Si oui, de quelle sorte?


Alexandre Devecchio, Recomposition: le nouveau monde populiste, éditions du Cerf, 304 p., 2019.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Frank 03.02.2020 | 16h57

«"Le nouveau monde populiste" .... ou les contorsions nécessaires pour expliquer l'injustifiable et se faire connaître pour tenter de (bien) vendre un livre impertinent!
J'aurais bien d'autres titres pour pareil livre:
"LA BÊTISE HUMAINE" sans cesse renouvelée!
"La démocratie arnaquée"
"Mauvaise démonstration par l'absurde!" etc...
A oublier mais bon article.
François Magnette»