Actuel / La majorité des Suisses veulent être neutres face à la Russie et à l’Ukraine
Sondage surprenant de TA-Media. «La Suisse doit être neutre face à la Russie et à l’Ukraine». D’accord? Plutôt d’accord? Pas d’accord? 64% des 1'200 personnes interrogées se déclarent très ou plutôt favorables à la neutralité dans ce conflit. Ce qui contraste fort avec les propos tenus mercredi à la radio romande par l’ambassadeur de Suisse à Kyiv qui a repris mot pour mot, sur tout, sans nuances, l’argumentation du Président Zelensky. Tensions politiques en vue.
La part de l’opinion favorable à la neutralité face à cette guerre a sensiblement augmenté au cours des derniers mois. On peut y voir un réflexe égocentrique de repli devant la tourmente. Ou aussi le rappel de la vocation traditionnelle de la Suisse: tenter d’aider les belligérants à cesser le feu, à négocier une issue pacifique plutôt que de prolonger les horreurs sanglantes.
Ce n’est manifestement pas le choix du DFAE. Les déclarations de Claude Wild, ambassadeur en Ukraine, étaient catégoriques. Soutien total à la politique de Zelensky. Il est même allé jusqu’à partager ses doutes quant à l’affirmation de l’OTAN selon laquelle les missiles tombés par erreur en Pologne n’étaient pas russes mais ukrainiens. Plus préoccupant encore: le diplomate suisse considère aussi que le temps n’est pas venu pour des pourparlers de paix. Donc que la guerre doit se prolonger. Avec des dégâts terrifiants de part et d’autre.
Il serait possible pourtant d’affirmer notre soutien à un pays agressé, de lui apporter une aide humanitaire et en même temps, rappeler que la Suisse est par principe favorable à une issue négociée aux conflits et qu’elle est prête en tout temps à offrir ses services dans ce sens. Certes, en l’occurence, si discussions il doit y avoir un jour, elles ne se tiendront pas en Suisse, vu son parti-pris. Ce sera plutôt à Istanbul, au Caire ou ailleurs. Dans un pays qui a affiché une certaine réserve. Mais le devoir de notre représentant auprès d’une des parties en guerre eût été de rappeler notre disponibilité. Comme devrait le faire aussi notre ambassadeur à Moscou. Même s’il est fraichement reçu.
Soyons réalistes. Le dénouement de cette tragédie se discutera tôt ou tard entre les Etats-Unis et la Russie. Car il n’y aura pas de victoire totale d’un camp ou de l’autre. A moins que des bombes ne tombent un jour sur le Kremlin! Ce sont en fait ces deux puissances qui s’affrontent. Utilisant pour cela ce qui était une guerre civile au départ, interne à l’Ukraine, dès 2014 ou même bien plus tôt. L’invasion russe est une violation indiscutable des lois internationales. Elle doit être condamnée haut et fort. Ce qui ne veut pas dire qu’un pays neutre comme la Suisse doivent s’aligner en tout et aveuglément sur la politique occidentale, sur une OTAN dont nous ne faisons pas partie. Un autre neutre, l’Autriche, le rappelle clairement. Elle condamne l’agression, fait sa part dans l’accueil des réfugiés, mais elle ne livre pas d’armes et se garde d’ajouter de l’huile au feu.
Nous devons échapper à l’hystérie émotionnelle qui se développe en Ukraine comme en Russie. L’église orthodoxe ukrainienne, dressée contre celle alignée sur le Kremlin, va jusqu’à dire à ses fidèles: «Nous vous prions vivement de lire les prières exclusivement en ukrainien. Si vous le faites en russe, la maladie et la douleur s’abattront sur vous.» Et côte russe, dans d’autres termes, les prêtres barbus ne sont pas en reste. Même lors de la Seconde guerre mondiale, aucune église, catholique ou protestante, n’a attisé une telle haine du peuple ennemi. Sinon celle de l’orthodoxie russe, réhabilitée à dessein par Staline, alliée à lui après qu’elle a été bannie par les bolchéviques.
Tenter, même désespérément, d’aider à éteindre à l’incendie. Telle devrait être la politique de la Suisse. C’est notre conviction. Elle peut se discuter. Si M. Ignazio Cassis en choisit une autre, il devra en répondre. Une chose est sûre en tout cas: sa conception «ultra-light» de la neutralité choque de nombreux Suisses et ceux-ci seront tentés de voter, l’an prochain, pour l’UDC, le seul parti qui s’oppose à la vision du DFAE. Beaucoup le feront le nez bouché, se souvenant des blocages aberrants de cette formation sur la question européenne. Mais le parti de Blocher pourrait bien gagner des voix. Effet collatéral surprenant de la crise sanitaire et de celle de la guerre. Les autres camps politiciens feraient bien d’y songer.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
12 Commentaires
@willoft 25.11.2022 | 02h53
«Vous avez sans doute raison.
Mais le copinage au DFAE fait que l'on remplit les cases au profit d'inutiles, payés par le bon peuple!»
@Revolawtion 25.11.2022 | 10h01
«J'ai de la peine avec cette position. Que les Suisses aient un certain attachement à la neutralité face à un conflit armé se conçoit. Certes les Etats-Unis ont un oeil et une main sur le conflit. Mais cela reste primairement un conflit Russie-Ukraine, une agression pure et simple sans autre lecture possible. Un pays, ou plutôt un régime, qui a glissé au fil des ans - sans que nous ne réagissions hélas, mais comment ? - vers la négation de l'intégralité des Droits de l'Homme, est indéfendable. Il ne peut que l'être également lorsqu'il agresse un Etat en violation du droit international. Ce que la Russie fait donc en outre à ses propres soldats est ignoble. Ce qu'elle fait à la population civile ukrainienne et des zones de guerre est ignoble. Ce n'est pas du manichéisme. C'est une lecture qu'il est difficile de concevoir différemment.»
@Erwan 25.11.2022 | 15h52
«pour répondre au commentaire de Revolawtion: votre lecture serait juste si les Etats-Unis n'avait pas fomenté la révolution Maidan de 2014. Les preuves de cela n'ont certes pas été l'objet des médias mainstream, ni à l'époque, ni cette année. Mais pour qui s'est intéressé au sujet cette année, il existe des sources très fiables qui l'établissent clairement. Si vous acceptez cette réalité non-dite, vous ne pouvez pas concevoir qu'il s'agisse primairement d'un conflit Russie-Ukraine.»
@Latombe 25.11.2022 | 21h05
«Eclairage instructif sur la mentalité d’un pays qui profite de la construction européenne par ses échanges commerciaux et qui se replie sur lui-même plutôt que de contribuer à renforcer les valeurs fondamentales d’humanisme et de démocratie portées par l’UE. Plus le temps passe et plus les Suisses vont espérer, par la neutralité, échapper aux tourments de l’histoire de nos voisins, soit éviter la guerre sur son territoire comme en 14-18 et en 39-45.
Mais cette fois j’ai le sentiment que l’Ukraine nous présente un modèle qui pourrait donner du sang neuf à l’Union européenne. Le fait que de nombreux Ukrainiens se révoltent deux fois à la place Maïdan, la première pour se débarrasser des oligarques, la seconde pour ne pas retomber sous la coupe de Moscou et rejoindre l’Union européenne, montre une solide volonté d’indépendance et de rejet de la corruption.
Cela m’amène à mettre en doute la polarisation E-U / Russie qu’évoque J. Pilet.
"Soyons réalistes. Le dénouement de cette tragédie se discutera tôt ou tard entre les Etats-Unis et la Russie. Car il n’y aura pas de victoire totale d’un camp ou de l’autre".
Je dirais plutôt soyons idéalistes, une solution est à trouver dans des relations interétatiques apaisées entre l’union européenne accueillant l’Ukraine en son sein et la communauté des états indépendants CEI.
»
@willoft 25.11.2022 | 22h48
«@ rewolatwion
Pourriez-vous nous expliquer, à nous, minuscules fourmis d'un micro média ce que signifie votre avatar?
Moi, willoft est mon nom de créatif, vous le pourrez sans doute vérifier sur Google
et mon vrai nom est Olivier Wilhem»
@Zag-Zig 26.11.2022 | 12h43
«Cher Monsieur Pilet
Merci pour votre réflexion sur la neutralité.
La question est compliquée car il ne s'agit plus uniquement de mercenaires et de contrôle de territoire, partant de passage comme jusqu'à la fin du XIXe siècle. Nous avons une industrie et des services qui intéressent les belligérants, ce qui a rendu la position de neutralité de la Suisse extrêmement inconfortable dès la première guerre mondiale. Je ne suis pas d'accord avec vous au sujet du DFAE et de son chef M. Cassis : dans les contorsions extrêmes qu'imposent la neutralité, payer ses interlocuteurs de mots est une option qu'il ne faut selon moi pas négliger.»
@pitschum 26.11.2022 | 21h26
«D'ici peu, l'initiative de l'UDC sera aussi acceptée par 64% de la population. Cela renverra des Wild et autre Cassis à la réalité. La neutralité, pour faire court, c'est de se mêler de ce qui nous regarde, c'est tout. Les leçons de morale n'appartiennent pas au pragmatisme.»
@hum 27.11.2022 | 04h30
«Donc déjà depuis février, la majorité des Suisses était pour la neutralité, mais le gouvernement n'en a pas tenu compte. Merci, Monsieur Pilet pour au moins nous informer de ces sondages que Tamedia n'a apparemment pas mis à la une dans ses propres journaux.»
@hermes 27.11.2022 | 14h52
«Parmi les Suisses qui souhaitent un cessez-le-feu, il se trouve plusieurs catégories de citoyens. Il y a d’abord les sincères qui souhaitent effectivement stopper les morts causées par ce conflit. Et il y a tous les autres. Les égoïstes qui pensent qu’un arrêt du conflit stoppera instantanément l’inflation et fera chuter le prix des énergies. Et ceux qui défendent sans oser le dire les Russes dont ils admirent le régime autoritaire et qui souhaitent un cessez-le-feu pour permettre à la Russie de muscler à nouveau son armée.
Alors attention à l’interprétation de ces sondages!»
@simone 28.11.2022 | 21h35
«Merci de cet article nuancé qui met bien en évidence que la neutralité n'est pas une notion toute noire ou toute blanche et que, par conséquent, la tâche des autorités n'est pas simple tant pour être fidèles à une valeur constitutive de notre pays que pour tenir compte de la nécessaire dimension politique internationale toujours changeante.
Suzette Sandoz»
@stef 08.12.2022 | 07h37
«La Suisse peut faire bien plus pour l'Ukraine en étant neutre (envoi de couvertures, médicaments, nourriture, bons offices, etc), qu'en envoyant des armes qui tuent et tuent encore !»
@bouc 14.01.2023 | 17h25
«La neutralité politique est une notion floue; wikipédia en donne une explication valable, quoique trop lapidaire: "En droit international, dans une situation de conflit armé et d'une manière générale dans tout type d'affrontement, la neutralité désigne :
- soit un positionnement volontaire de non-engagement, d'abstention, pouvant être assorti d'une vigilance pacifique ou armée ;
- soit une absence d'implication pouvant s'expliquer par une attitude de passivité ou une complicité de fait."
Le premier terme de l'alternative correspond plus ou moins à la neutralité armée et semble adéquate pour la Suisse, sans impliquer ipso jure une interdiction de réexportation des armes vendues à des États tiers (mais la loi fédérale actuelle apparaît l'empêcher); le second terme de l'alternative est en revanche inadéquat pour notre pays lorsque un agresseur, in casu d'une violence extrême, est en cause. Au surplus, les propos de M. Pilet sont pertinents.
Luc Recordon»