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Où placer la Suisse sur la carte géopolitique en mouvement? Bien peu de pays s’en soucient. Et nous? Dans le bleu. Les initiatives de Ignazio Cassis et ses prises de position tapageuses commencent à susciter le malaise. Quant à Viola Amherd, sa dérive pro-OTAN et la gabegie de sa gestion de Ruag apparaissent de plus en plus consternantes.



L’ex-diplomate valaisan Georges Martin, autrefois dans les hautes sphères du DFAE, a mis les pieds dans le plat. Lors de l’émission de radio «Les Beaux Parleurs», à l’occasion de la sortie de son livre au titre un brin pompeux – Une vie au service de la Suisse. Il a tranquillement déclaré, en substance, que notre diplomatie ne sait plus où elle va. La «conférence de la paix» annoncée à Davos par le chef du Département, fixée à fin mars, se présente mal. Elle ne sera, selon Martin, qu’un raout de plus du «fan-club de Zelensky», ignoré d’ailleurs par les Etats-Unis. Du côté de la Chine, de l’Inde et bien d’autres, malgré visites et courbettes, c’est l’indifférence polie. Prétendre chercher une voie de paix en ignorant l’une des parties au conflit, sur la base du programme d’un seul camp, c’est absurde. Pire, une tromperie sur les mots.

Il manque une tête pensante au sommet. Une direction froide, réaliste, qui ne laisse pas flotter la politique au vent des émotions collectives, qui montent et descendent, changent parfois de direction. Lorsque l’action diplomatique se mène à coups de communication, dans le souci de la popularité immédiate, sans la moindre discrétion, sans contacts secrets, elle perd toute crédibilité. M. Cassis devrait apprendre à tenir sa langue. Et s’il veut partager ses partis-pris, le faire dans les codes d’un métier dont il ignore manifestement les bases.

Exemple de la politique menée au coup de sang. Le Conseil fédéral mijote une un texte «interdisant le Hamas». Qui ne s’est jamais manifesté en Suisse. Cette gesticulation juridique ne changera pas un iota à la situation au Moyen-Orient. Mais cela coupera tout espoir de voir un jour notre diplomatie proposer ses services pour tenter un accord sur ce terrain. Certes elle était déjà mal partie avant cette mesure. On aurait pu cependant réserver l’avenir. Quand on songe qu’en 2010, du temps de Micheline Calmy-Rey, le DFAE invitait de hauts dirigeants du même Hamas, notamment à Einsiedeln où ils rencontrèrent un abbé, cela dans une louable tentative de leur faire préférer la voie politique à celle du terrorisme, on mesure l’ampleur du changement de cap.

Sur le versant de la défense, à portée hautement politique aussi, là, c’est la pataugeoire. Depuis son accession à cette responsabilité la conseillère fédérale mène le département avec une petite équipe de proches, avec une obsession, se rapprocher le plus possible de l’OTAN. Multipliant les visites auprès des chefs du club atlantiste. Fermant les yeux sur les pratiques irrégulières de Ruag, vivement dénoncées ces jours par la commission des finances et nombre de parlementaires. A propos de 94 blindés Leopard achetés à l’Italie, où ils se trouvent encore, sur un terrain loué à prix faramineux. Promis, sans accord du Conseil fédéral, à l’Allemagne soit-disant pour remplacer ceux qu’elle livre à l’Ukraine. Cela sur fond d’une opacité budgétaire dans l’armée, non moins vivement critiquée au Parlement.

Il est piquant de constater comment la maison est dirigée. Dans l’entre-soi. Viola Amherd a confié les rennes de Ruag à une amie, sans expérience du domaine, Brigitte Beck. Qui a dû démissionner l’an passé. Et la présidence du conseil à Nicolas Perrin, beau-frère de la plus proche conseillère de la conseillère fédérale, Brigitte Hauser-Süess, qui lui aussi vient d’annoncer son départ. Pour ne pas nuire à la réputation de l’entreprise, a-t-on dit. Ou plutôt celle de la patronne qui prétend n’avoir rien su des manigances de cette belle équipe, à deux pas de son bureau.

Sur le fond, les turbulences autour du DFAE et du DDPS posent en filigrane la question de la neutralité, agitée surtout par l’UDC. Ce concept élastique, aux infinies interprétations, finit par tout embrouiller. C’est une autre exigence qu’il convient de faire valoir: la défense des intérêts du pays. Priorité pour les militaires comme pour les diplomates.

Demandons-nous donc ce qui vaut mieux pour la Suisse, sur le temps long. Devenir un satellite, même grognon à l’occasion, de l’Alliance atlantique? En devenir un membre un jour? Nous ancrer exclusivement dans cet «Occident» dont d’immenses pans du monde se distancent? Ou trouver son chemin propre, comme autrefois? Le champ de nos intérêts est large. La sécurité bien sûr, mais aussi le commerce, l’espace académique et la recherche, la vie sociale avec des communautés diverses en notre sein.

Baliser notre carte du monde en étiquetant les pays comme fréquentables ou pas? Les bons et les méchants, les démocraties et les dictatures? Attention, à ce jeu on s’empêtre vite dans les contradictions. Sanctions à tout va pour la Russie qui a agressé l’Ukraine, aucune pour Israël qui occupe durablement et violemment des territoires qui ne sont pas les siens. Battre froid la Chine comme on nous le demande et courtiser l’Arabie saoudite guère plus respectueuses des droits de l’homme. Prendre les Etats-Unis comme modèle universel de démocratie alors que leur système donne actuellement un si piètre visage? Brandir nos «valeurs», de tolérance notamment, pour condamner les sociétés qui ne les partagent pas? Là, il y a un bug.

Et que l’on ne vienne pas objecter que le rapprochement avec l’Union européenne nous dictera la voie. En politique étrangère, elle est beaucoup plus diverse que ne le dit sa présidente mégalomane. Ce club compte aussi des pays neutres… et des rebelles d’occasion. Voyez l’Espagne à propos de la guerre de Gaza. Les opinions publiques sont loin de voir les événements actuels à travers les mêmes lunettes. Voyez les Polonais qui entrent en bisbille avec l’Ukraine jusqu’à bloquer parfois le trafic frontalier.

L’approche moralisatrice, en politique internationale ne mène qu’à l’isolement. A l’impuissance dans nos efforts de paix. A l’abandon de nos intérêts bien concrets. Il est temps de définir nos repères avec franchise, avec hauteur de vues.

Enfin n’allons pas non plus nous gargariser du terme de souveraineté. Elle n’est absolue pour personne. Un autre notion paraît préférable: la dignité. Opposée à la soumission, à la vision imposée par les puissants, au conformisme induit par l’émotion dominante du moment.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

10 Commentaires

@yeppo 23.02.2024 | 08h49

«Tout ce qui est écrit est malheureusement vrai. M. Cassis notamment est aussi incompétent que dans ces anciennes fonctions à la FMH par exemple et fait le désespoir des vrais diplomates de son département .»


@willoft 23.02.2024 | 10h44

«Interessant car demandant une aide juridictionnelle à la France pour enfin liquider mon héritage depuis 14 ans, en France,
Je me vois signifier que ce n'est pas possible car ...la Suisse ne fait pas partie de l'Europe (sic).

Lorsqu'il s'agira de payer des impôts de succession je vais faire valoir le même argument »


@willoft 23.02.2024 | 12h24

«C'est d'autant plus indigne qu'après avoir demandé conseil au consulat de France en Uruguay (où je vis), celui-ci m'a envoyé le lien pour le site de la justice française où j'ai pu déposer plainte sans avocat.

Ça fait bientôt deux ans et depuis, le Tribunal de Toulon ne trouvait rien de répréhensible, le Tribunal de recours à Aix
Appuyait l'avis du premier en invoquant n'importe quoi et que tous envoyaient des infos erronées.
Ces magistrats ne connaissent même pas leur travail mais la grande gueule française et ses 3.000 de dettes continuent à donner des leçons !»


@Latombe 23.02.2024 | 12h43

«Ce que relève avec pertinence J. Pilet c’est la rupture du CF avec une pratique plus ou moins établie d’élire des conseillers fédéraux à la personnalité besogneuse et un peu terne qui s’appuyaient avec confiance sur des équipes de brillants hauts fonctionnaires très compétents dans le domaine de leur département.
Avec l’équipe actuelle on voit la cheffe du DDPS séduite par l’OTAN au point de manœuvrer pour ne pas acheter un excellent avion de combat français, lui préférant un produit entièrement sous contrôle des USA, un chef du DFAE donnant l’accolade au président d’un pays en guerre, en prônant la paix, mais en sanctionnant économiquement son ennemi juré, une Cheffe du DFI, prônant des aides sociales au lieu de la dignité à propos de l’initiative sur la 13e rente AVS, j’arrête là la liste, bien que …. un vigneron pour penser l’économie, …
C’est à mettre en relation avec leur domaine de compétence avant de devenir Conseiller fédéral : une juriste pour développer des projets d’armée, un médecin pour construire une diplomatie, une assistante sociale pour penser la médecine et la santé, attention au risque de décider selon l’autorité liée à la fonction plutôt que celle liée à une large compréhension du domaine.
»


@rrr_hhh 23.02.2024 | 15h09

«M. Cassis patauge dans la semoule. Parfois je pense avec nostalgie à Alain Berset qui à la veille d’entamer sa dernière législature avait espéré pouvoir échanger son département de l’Intérieur contre celui des Affaires étrangères. Je suis sûre qu‘il aurait pu mieux faire et nous éviter de nous sentir mal à l’aise en écoutant les déclarations de M. Cassis. On aurait sûrement eu une politique extérieure plus intéressante et plus réfléchie, même si avec la multiplication des crises cela n‘aurait pas été facile pour M. Berset non plus.»


@Qovadis 24.02.2024 | 03h08

«Il est clair que la France serait plus bienveillante envers la Suisse si elle avait opté pour des avions Rafale, amplement suffisants, plutôt que des F35 américains hors de prix, bourrés de défauts, de logiciels buggés ( 800 selon Defence News) et opérationnels que la moitié du temps. Aller faire un tour sur Internet et tapez « problèmes F35 » et vous serez édifiés. Les coûts de maintenance vont se révéler faramineux. Amère déception. Enfin, soyons positifs, les coûts payés par les uns seront les profits encaissés par les autres.»


@Philippe37 25.02.2024 | 07h54

«Bonjour,
Que ce soit l’un ou l’autre de vos 3 fort intéressants articles (Neutralité, AVS et COP/Davos), il s’agit d’enfin réaliser une chose, c’est que tous ces gens se fichent comme d’une guigne du bien commun. Ces clowns sont juste là pour nous réveiller.
On attend vos commentaires sur l’interview récente de Tucker Carlson avec Poutine
Bon printemps à nous tous !
Martine Keller»


@Francois 27.02.2024 | 22h11

«J'aurais pu écrire ce texte, et je trouve tellement étrange que son auteur soit Jacques Pilet!...»


@von 28.02.2024 | 15h09

«Je partage votre analyse.

J'étais déjà consterné lorsque M. cassis a lâchement abandonné le directeur de l'UNWRA et coupé son subside. Je suis maintenant atterré par sa volonté de vouloir à tous prix condamner le Hamas dans la loi suisse, c'est d'une bêtise sans nom! Un petit pays comme le nôtre devrait savoir rester à sa place. La nôtre n'est pas de crier avec les loups, nous ne faisons pas partie de cette coterie, nous sommes trop petits pour cela. Par contre, nous avons l'habitude du consensus à cause de nos 4 langues et de nos 4 ethnies nationales. Politiquement, notre vocation est d'être neutres à l'interne et à l'externe. C'est d'ailleurs une question de survie pour notre pays, notre diversité de langues et d'opinions nous obligent à être neutres si nous voulons conserver notre cohésion et la paix civile.

Quant-à Mme Amherd, quelle catastrophe, quelle incurie! C'est bien cela: elle veut absolument que la Suisse se rapproche de l'OTAN, ce que laisserait penser son choix des F35. Et sa façon de communiquer alors que la maison brûle: "Circulez il n'y a rien à voir!". C'est navrant de médiocrité.

Mais qu'arrive-t-il à notre pays? Nos politiciens ont-ils perdu la boule à vouloir crier avec le dernier qui parle et à suivre stupidement n'importe-quelle propagande? Nos élus sont-ils si petits à gesticuler ainsi afin de tenter de faire partie du club des grands?

Personnellement je serais fier de mon pays si, déjà, il offrait la nationalité suisse à Julian Assenge et à Edward Snowden afin de les laisser finir leur vie décemment. Ils ont sacrifié leur liberté pour nous, c'est le moins que nous puissions faire pour eux.

Je serai fier de mon pays s'il continuait à aider ce malheureux peuple palestinien, qui n'a plus rien et qu'Israël est en train d'assassiner. Le mieux que nous ayons à faire dans ce conflit, c'est d'offrir notre neutralité aux deux parties afin qu'elles aient une plateforme neutre et bienveillante pour s'expliquer et se mettre d'accord.
»


@stef 22.03.2024 | 16h18

«Excellent texte, bravo »