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Actuel / Enfants du don de sperme: l’heure du choix

Anna Lietti

6 mars 2019

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En 2001, la Suisse abolissait l’anonymat du don. Dix-huit ans plus tard, les premiers adultes nés sous le nouveau régime peuvent connaître l’identité de leur père génétique. Vont-ils se ruer sur l'info? L’expérience à l’étranger montre que les femmes sont plus curieuses que les hommes. Et que seulement une minorité de personnes issues d’IAD cherche à connaître ses origines. Même sans anonymat, la culture du silence a la vie longue.



Le 1er janvier 2001, dans les centres de procréation médicalement assistée de Suisse, prenait effet une petite révolution culturelle: le sperme utilisé pour les inséminations artificielles avec donneur (IAD) cessait d’être anonyme. L’identité desdits donneurs a, dès lors, été consignée à l’Office fédéral de l’état civil: à disposition des enfants issus de ces dons, une fois devenus majeurs. 

Dix-huit ans ont passé depuis ce changement législatif: cet automne – soit neuf mois à dater du 1er janvier 2019 – les premiers de ces enfants fêteront leur majorité. Par décision récente du Conseil Fédéral, ils vont pouvoir obtenir les informations sur leur donneur sans même se déplacer: par la poste, sur simple demande. Ils pourront également demander à le rencontrer, mais ce dernier n’est pas tenu d’accepter.

Sur le plan des mentalités, le pas franchi est considérable: il y a trente ans encore, familles et médecins adhéraient avec la meilleure conscience du monde à l’idéologie du «ni vu ni connu», tout droit issue de la tradition bourgeoise (l’enfant n’est pas tout à fait de Monsieur? On va faire comme si, d’ailleurs c’est l’amour qui compte): non seulement le sperme était anonyme, mais en plus, il était recommandé de garder le secret sur les circonstances de la conception. Aujourd’hui, connaître ses origines est reconnu comme un droit humain fondamental et de nombreux pays, notamment en Europe du Nord, ont aboli l’anonymat du don.

C’est le tour de la Suisse, où 200 à 250 personnes issues d’IAD naissent chaque année. Que vont-elles faire de leur droit à savoir? Sont-elles seulement conscientes de l’avoir? Si elles l’exercent, ce sera pour chercher quoi exactement? Et que peuvent espérer celles nées avant 2001?

Si on ne peut rien prédire, on peut chercher des réponses dans l’expérience des autres pays et auprès des professionnels concernés.

Qui cherche à savoir et pourquoi?

L’étude la plus récente sur le comportement des enfants du don est californienne. Elle fait le bilan après dix ans d’un programme «identité ouverte» à la Sperm Bank of California. (Comprenez: aux Etat-Unis, le don est, à choix, anonyme ou non. Dans un «open identity program», donneurs et futurs parents choisissent la transparence.)

Parmi les personnes interrogées qui connaissent les modalités de leur conception, 40% ont demandé des informations sur leur donneur durant ces dix ans. Les plus âgées ayant 27 ans, on peut imaginer que d’autres viendront gonfler la statistique dans les années à venir.  

Les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes parmi les demandeurs. Et les enfants de femme seule deux fois plus nombreux que ceux de couples, hétéro ou homosexuel. Presque tous (94%) avaient un donneur prêt à les rencontrer et la majorité (75%) se sont dit intéressés par une rencontre. Mais, la plupart du temps (81%), sans attente particulière: on veut surtout voir à quoi il ressemble, on cherche les caractéristiques héritées pour compléter le puzzle de l’image de soi. 

Même si le taux de demandes d’informations varie (de 10 à 40%) selon les études, ces résultats confirment les observations faites dans d’autres pays. Notamment sur ce point: les adultes issus d’IAD ne cherchent pas des pères de substitution, ils ne fantasment pas sur le «tout génétique». Contrairement à ce que prétendent les avocats du maintien de l’anonymat, très nombreux en France notamment. 

La tentation du secret 

Une donnée frappe dans l’étude californienne: même lorsqu’ils se tournent volontairement vers un programme à «identité ouverte», un certain nombre de parents – surtout (35%) parmi les couples hétérosexuels où le «ni vu ni connu» est plus vraisemblable – omettent de révéler à l’enfant les modalités de sa conception. Autrement dit: ce dernier a le droit et les moyens de savoir, mais il ignore qu’il y a quelque chose à savoir. Chez ses parents, la tentation du secret a été la plus forte. Elle explique aussi en partie l’apparent manque de curiosité des enfants issus d’IAD dans d’autres études. 

Cette tentation du secret, les professionnels la connaissent bien. Laure de Jonkheere, conseillère en santé sexuelle, accompagne des couples au Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de Lausanne:

«La plupart des parents ont l’intention de raconter à leur enfant son histoire mais une fois qu’il est là, pris dans leur parentalité, certains n’y arrivent pas. Ils renvoient au lendemain, ne trouvant pas le bon moment pour parler. Ils craignent de compliquer la relation.» 

A ces hésitations, les psychologues opposent les mêmes puissants arguments qui ont, il y a quelques années déjà, transformé les mentalités face à l’adoption: les pires complications, c’est le secret qui les engendre. Car il finit par transpirer, ou éclater dans des circonstances particulièrement mal venues. Apprendre que vous n’êtes pas l’enfant génétique de votre père au hasard d’un test biologique, par un voisin bavard ou par une mère en instance de séparation, c’est violent. Le silence sur les circonstances de la conception est assimilable à un secret de famille, c’est pourquoi son plus célèbre spécialiste français, Serge Tisseron, a signé un livre pour enfants conçus comme un support à la transparence (référence en bas de page). 

Aux hésitations des parents s’ajoute la sensibilité des enfants à leurs fragilités: derrière une IAD, il y a la stérilité d’un homme. «Certains enfants n’oseront pas poser de questions par loyauté envers leur père s’ils sentent que cela le touche», ajoute Laure de Jonkheere. Parfois on leur a dit la vérité, mais un peu trop vite et sans vraiment laisser la porte ouverte aux questions…

Sortir de la culture du «ni vu ni connu» ne se fera pas du jour au lendemain et la PMA n’a pas fini de mesurer les enjeux psychosociaux de ses pratiques. C’est sur cette dimension que travaille Fertiforum. La commission mise en place par la Société suisse de médecine de la reproduction applaudit bien sûr la levée de l’anonymat, mais s’inquiète de la procédure simplifiée: recevoir les informations sur son donneur tout seul à la maison, ça peut être très déstabilisant selon les circonstances. «Imaginez le cas où la personne veut rencontrer son donneur, qui refuse, dit Laure de Jonkheere, également membre de la commission. C’est rare selon ce que démontrent certaines études, mais cela arrive et c’est une situation psychologiquement délicate.» Y compris pour le donneur. Aux protagonistes de ces romans familiaux post-modernes, Fertiforum propose informations et accompagnement.


Et les enfants d’IAD nés avant 2001? 

Il est donc établi que l’anonymat du don viole les droits fondamentaux de la personne. C’est pourquoi la nouvelle loi sur la procréation médicalement assistée contient un ingrédient rare, l’effet rétroactif. Autrement dit: les personnes nées avant 2001 disposent, elles aussi, d’une base légale pour demander les informations sur leur donneur. Mais gare à trop d’enthousiasme: leurs chances de les obtenir sont fragiles… 

La loi renvoie en effet ces personnes au «médecin qui a appliqué une méthode de procréation médicalement assistée.» Lequel se retrouve piégé dans une situation hautement inconfortable: il a promis l’anonymat au donneur, mais en tenant sa promesse, il viole un droit humain fondamental. 

Mais d’abord: les centres de PMA ont-ils seulement conservé ces données? La réponse varie. Au CHUV – le seul centre romand concerné par ces IAD «historiques» –, il y a eu un avant et un après 1992. «Jusqu’à cette date, explique Jeanne-Pascale Simon, cheffe adjointe de l’unité des affaires juridiques, la pratique était, pour garantir l’anonymat, de détruire les données personnelles et de ne garder que les informations médicales.» Aucun espoir donc pour les personnes nées avant 1992. 

Puis, le vent a commencé à tourner: «Cette levée de l’anonymat, on l’a vue venir…» Le CHUV a donc commencé à demander aux donneurs si, au cas où, il pouvaient envisager de renoncer à l’anonymat. «Nous avons toujours imaginé qu’ils conserveraient le choix.» Là, il va falloir leur annoncer que, si demande il y a, l’information sera donnée, qu’ils le veuillent ou non.

«C’est une situation très délicate. Nous allons appliquer la loi de la manière la plus éthique possible, en assurant un soutien aux uns comme aux autres», conclut Jeanne-Pascale Simon. 

La juriste est également soucieuse de ne pas susciter de «faux espoirs» chez les adultes en quête de leur père biologique: «Retrouver des gens qui étaient étudiants ou apprentis à l’époque ne sera pas facile. Or, nous ne donnerons pas de nom avant de nous être assurés qu’il s’agit bien de la bonne personne et pas d’un homonyme.» 

Suspense en perspective sur fond de quête d’identité. Avec, on l’espère, un happy end au bout de l’aventure.


Serge Tisseron, Aurélie Gillerey, Le mystère des graines à bébé, 2014, Edition Poche,  44 p. 


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