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Actuel / Islamisme: les «petits arrangements» du ministre Kurz


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Une étude financée par le gouvernement. Un chercheur au double discours. Des preuves qui mettent en doute les deux parties. Une communication ambiguë. Une controverse non-résolue sur la radicalisation des enfants. C’est le décor qui accompagne l’étude du professeur Ednan Aslan concernant les jardins d’enfants islamiques en Autriche: un débat houleux lancé et utilisé par Sebastian Kurz, ministre et chef du parti populaire ÖVP.





Tout commence avec les attentats à Paris. Les gens ont peurs, se posent des questions. Le climat est tendu et les politiciens cherchent des explications, des solutions.  Sebastian Kurz est ministre autrichien des affaires étrangères et leader du parti populaire de ce même pays (ÖVP). Selon lui, la radicalisation islamique, source des attentats, est commencée très jeune, notamment dans les jardins d’enfants islamiques. Il souhaite donc les interdire. A ce moment de la discussion, tout est à prouver, puisqu’il n’existe encore aucune étude sur la question, ni même une recension des établissements.

Etude pour preuve... ou pas

Un mois après cette déclaration, une pré-étude, concernant l’observation d’un groupe de jardins d’enfants est proposée par le Professeur Ednan Aslan, grand spécialiste de la question islamique de l’université de Vienne. La recherche à 36 000 € est cofinancée par le département de l’intégration que dirigeait Sebastian Kurz à cette époque. Les résultats sont alarmants. La presse parle de «propagande islamique au jardin d’enfants»; les parents musulmans y inscriraient leurs enfants pour les isoler de l’influence (néfaste) de la société  on y apprendrait uniquement le turque ou le tchéchène; et tout cela serait payé par le contribuable.

Bon.

Quelques mois plus tard, l’étude finale sort. Moins à charge que la pré-étude. Il y a en Autriche 150 jardins d’enfants islamiques, subventionnés à hauteur d’environ 30 millions d’euros. 10 000 enfants les fréquentent. Il semblerait néanmoins que certains établissements posent de réels problèmes. «Le nombre de données n’est par ailleurs pas suffisant pour déclarer les tendances comme manifeste. Pour cela, il faudrait mener une enquête de fond de grande envergure», écrit le chercheur Aslan dans sa conclusion. Donc problème il y a: il est nécessaire de prendre des mesures et d'éviter la stigmatisation de tous ces établissements.

Allons au-delà des débats du genre «à qui la faute du manque de contrôle», des commentaires Facebook «Aslan est un vendu au gouvernement» ou « les musulmans tous des...» qui suivirent, et passons directement à l’épisode de l'été 2017.

Corrections à tour de bras

Le journal Falter se procure les fichiers Word de l’étude, en mode «modification». Cela permet de voir tous les commentaires en marge du document effectué par le département du ministre Kurz, les corrections de fautes d’orthographe, les ajouts, les suppressions, bref, tout le travail qui est fait sur un tel papier. Et les responsables du département ne se sont pas gênés en effectuant... 903 modifications. Pour la plupart, il s’agit de corrections de formes, mais d’autres relèvent manifestement de communication politique.


Echantillons des modifications





Ces deux exemples sont clairs: le ton et le fond de «l’étude à 36 000 € » ont été délibérément changés. Découvrant cela, le journal Falter s’empresse de rencontrer le chercheur pour l’interroger sur ces modifications. Ce dernier paraît surpris et assure ne pas avoir eu connaissance des changements de fond. Le lendemain, il confirme sa surprise après avoir «parlé avec trois collègues qui n'en comprennent pas plus.» Dénouement de l’histoire le lundi 3 juillet, le Professeur Ednan Aslan annonce avoir pris contact avec le département des affaires étrangères et déclare sans sourciller: «Après une nouvelle expertise des documents pendant le week-end, je peux dire sans aucun doute, que toutes les modifications viennent de moi, sans exceptions.» Nul n'en saura plus sur la nature de la discussion entre le chercheur Aslan et le département concerné.

Quand-même pas stupide, le Kurz!

Depuis ce jour, Ednan Aslan défend l’étude. Il est fortement critiqué pour cela. Le porte-parole du ministre Sebastian Kurz répète par ailleurs que le document a été évalué par des experts pour assurer son caractère scientifique. De plus Sebastian Kurz «n’interviendrait jamais sur une étude», s'offusque-t-il. «Nous ne sommes quand-même pas stupides»...

Depuis que cette étude fait parler d’elle, certains condamne la personnification du débat et l’écart qui est fait pour éviter le vrai sujet de la recherche : la qualité des jardins d’enfants islamiques. Il est pourtant évident que si l’étude n’était pas entourée de doute concernant sa méthodologie, tout ce tapage n’aurait pas lieu. Le débat n’est donc pas injustifié. Mais en attendant que les fils soient démêlés, ne vaudrait-il pas mieux s’en tenir à la présomption d’innocence? Et cela, pour toutes les parties concernées?


Bon pour les oreilles

Vous avez les yeux fatigués de toujours lire sur un écran? 

Diana-Alice Ramsauer vous lit son papier!




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