A vif / La belle époque et la nôtre
Dans La Belle Epoque, actuellement dans les salles de cinéma, Daniel Auteuil incarne un personnage qui peut revivre le jour où il a rencontré sa femme, 40 ans plus tôt, grâce à une entreprise de reconstitution historique sur mesure. Nicolas Bedos signe un deuxième film encore plus virtuose que le premier, et qui nous en dit beaucoup sur notre époque marquée par la criminalisation de la nostalgie. Un exercice de style époustouflant, appuyé par un casting remarquable.
Quelle époque choisirions-nous si nous pouvions revivre un moment de notre vie? Nous avons tous de ces moments de grâce qui nous rapprochent plus du ciel que de la boue. Instant ou période, une partie de notre histoire qui compte particulièrement. Peut-être y en a-t-il même plusieurs. Et quand nous y pensons, nous vient la nostalgie. La «maladie du retour», comme nous en informe l’étymologie du mot. Il semblerait que, pour une fois, ce phénomène soit véritablement perçu par notre époque à l’aune de son sens ancestral: comme une maladie. En effet, que ce soit sur le plan philosophique, politique ou tout simplement humain, repenser à la beauté du passé peut vous valoir aujourd’hui d’être considéré comme un attardé mental.
Nostalgie et accélération du temps
La Belle Epoque raconte notamment cela. Victor, interprété par Daniel Auteuil, est un sexagénaire représentatif de tous ses semblables, dépassés par la société actuelle. Michel Sardou l’avait résumé sur la radio RTL il y a quelques semaines: «Cette époque, je la hais.» Quand le journaliste lui a demandé qu’est-ce qu’il détestait en particulier, le grand chanteur lui a répondu: «Tout. Tout. Tout.» Comprenez ici la société hyper-connectée, les contraintes en tous genres, le manque de liberté de pensée, la pudibonderie, et surtout les réseaux sociaux, «ridicules» selon l’auteur de Je vais t’aimer. Si un artiste peut exprimer ce bon sens populaire comme un porte-voix, un personnage de film le peut aussi.
Et ainsi en va-t-il de notre Victor, qui va se laisser tenter par une entreprise de reconstitution du passé, pilotée par Antoine (Guillaume Canet), un double du réalisateur Nicolas Bedos. Dans le film, Antoine est le compagnon de Margot (Doria Tillier, exceptionnelle), une actrice qui interprète le rôle de Marianne, la femme de Victor, pour les besoins de la reconstitution. Vous suivez? Victor décide en effet de revivre le jour de mai 1974 où il a rencontré son épouse, qui, dans le monde actuel, vient de le mettre à la porte – l’épouse actuelle est incarnée par une autre actrice exceptionnelle, j’ai nommé Fanny Ardant. Alors bien sûr, quand Victor va se laisser prendre au jeu, on ne sait vraiment – et lui non plus – si c’est de son épouse actuelle, de celle qu’elle était, ou de la comédienne qui l’incarne qu’il va peu à peu s’éprendre. La nostalgie a également ses dangers.
Cette comédie dramatique française est si ancrée dans la tradition d’un Sacha Guitry et en même temps si actuelle dans son propos et son contexte, qu’elle peut être qualifiée à coup sûr de grand film. Que le temps s’accélère ou non dans l’environnement que nous connaissons, ce n’est que perception subjective. Comme toujours, l’essentiel tient dans le remède aux douleurs réelles qui nous assaillent. Et quitte à faire de l’étymologie, autant revenir à nouveau au grec ancien: le pharmakon, c’est aussi bien le poison que le remède. Dosons donc la nostalgie, à la fois maladie, poison… et remède! C’est ce que La Belle Epoque nous dit de plus beau.
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