Lu ailleurs / Gougou, Oscar, Boubou et les autres: les doudous au pays des adultes
Ils ont entre 25 et 40 ans, ont un travail, parfois une famille, des enfants, et toujours un doudou. Pour quelle raison conserver cette relique de l’enfance une fois adulte? Pourquoi s’entourer d’animaux en peluche passé la trentaine? Le bimensuel «Society» livre quelques explications à un phénomène qui n'est ni nouveau, ni vraiment inquiétant.
Christelle, alias Lily, tient le premier hôpital à doudous de France. Cette passionnée de couture a vu la demande exploser pendant le confinement de 2020, si bien qu'elle a aujourd’hui réalisé près de deux cents interventions pour recoudre, recoller, rafistoler des doudous de toute sorte. Et de tous âges, souligne-t-elle. «Dans la majorité des cas, ces doudous appartiennent à des adultes». Moyenne d’âge: entre 25 et 40 ans.
Certes, l’âge avancé de ces compagnons immobiles explique la nécessité de les rafraichir un peu; mais un attachement aussi durable interroge. Cependant, étant donné l’âge des clients de Lily, le phénomène semble n’avoir rien de nouveau.
Typologie du propriétaire de doudous
Eric et Christophe, 48 ans tous deux, témoignent. Ils concèdent qu’un adulte ayant besoin d’un doudou pour s’endormir, c’est au mieux bizarre... Ils possèdent chacun plusieurs doudous et en prennent grand soin; ce sont des animaux en peluche rescapés de l’enfance et des doudous nouvellement acquis. Ces créatures sont «humanisées» explique Eric: «On leur donne la parole, on leur parle, ils nous répondent». Eric n’est pas fou. Il sait que les doudous ne parlent pas, mais il en rêverait.
Jules, 34 ans, s’endort aussi avec son doudou, ce qui lui permet d’éviter de prendre des somnifères, se félicite-t-il. Jules a rencontré Oscar, son ours en peluche, à la maternité. Et s’est attaché durablement à lui, au point que cela l’interroge à l’adolescence (et lui fasse honte devant les copains). Oscar l’a aidé à surmonter sa solitude, le rassurait face à son entrée dans l’âge adulte. Il assume désormais, même si son épouse déplore qu’Oscar «pue un peu».
Quant à Emilie, la trentaine aussi, elle conserve très précieusement Gougou, un éléphant blanc et dodu vêtu d’un pantalon bleu. Gougou est l’unique souvenir qu’elle possède du Cambodge, son pays d’origine, avant son adoption par un couple français. Elle envisage de léguer son petit éléphant à sa fille, comme un morceau de l’histoire familiale.
Cette tendresse, à la vie à la mort, Lily l’a bien observée. La chirurgienne des doudous raconte qu’elle a déjà refait une beauté à des peluches destinées à accompagner leur propriétaire dans son cercueil.
Affection, attachement et nostalgie
Alors que se passe-t-il dans la tête d’Eric, Jules et Christophe? Sophie Gandillot, citée par le magazine, est psychologue clinicienne spécialisée dans les mécanismes de l’attachement. Elle explique que les enfants ont besoin de créer un lien privilégié avec une personne qui leur permette de se sentir en sécurité. Généralement, il s’agit d’un parent. Le doudou constitue un prolongement de cet attachement. Il est le lien entre le cocon et le monde extérieur, dangereux, menaçant. Il protège et rassure. Vous vous souvenez peut-être d’avoir, enfant, serré fort votre doudou après avoir entendu des bruits effrayants dans la nuit...
L’attachement à un doudou à l’âge adulte peut cependant être le marqueur d’une carence affective importante durant les premières années. Eric et Christophe le reconnaissent volontiers, ils ont tous deux manqué d’affection.
Mais la plupart du temps, il n’y aurait là rien de pathologique. Certes, s’endormir avec un doudou est difficilement avouable en société et perçu au mieux comme un signe d’immaturité et de vulnérabilité; mais il s’agit, selon la psychologue, plutôt d’un souvenir, d’un objet symbolique, qui rappelle des moments joyeux et apaisants.
Ce serait donc – et nous dépassons là le cadre de l'article – un brin de nostalgie qui pousserait ces adultes dans les bras de leurs doudous. Mais pas seulement la nostalgie de l’enfance en tant que telle. Lily a constaté une forte demande de réparation de doudous au début de la pandémie de Covid, c’est-à-dire quand notre quotidien a brutalement basculé dans l’inconnu et le danger. Ce serait ainsi du système de pensée et de représentation du monde, qui est celui de l’enfance, dont ces adultes sont nostalgiques. Cet engouement pour les doudous, neufs ou anciens, n’indique pas nécessairement un ramollissement, un infantilisme de la société. Quoique le fait de ne plus tellement s’en cacher, peut-être, donne une indication sur ce que nous jugeons aujourd’hui «honteux» ou pas; et témoigne aussi d’un certain brouillage des frontières entre enfance et âge adulte. En revanche, l’enfance est le paradis perdu où tout était simple, où l’autorité des parents était l’unique causalité et moteur du monde. Quête de sens, de permanence, de certitudes et de refuge: le monde tremblerait donc au point de serrer fort son ours en peluche.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Chan clear 07.06.2024 | 16h12
«Il protège et rassure
2 choses qui n’ont pas été bien faites entre 0 et 15 ans et qui est la responsabilité des parents ceci afin de pouvoir passer aux étapes suivantes . Pratiquant un. Art japonais ancestral tout ceci est passionnant et la régénération est possible voila qui est rassurant .»