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Actuel / Une plaque pour Lénine contestée, mais inamovible


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En 1967, Genève inaugure une inscription sur une maison de la Jonction où a logé le père de la révolution russe. La démarche provoque quelques remous.




Stéphane Fontanet, Musée de Plainpalais | Mai 2018


La fin du communisme dans les pays de l’Est a amené à un déboulonnage massif de la statuaire et des références aux figures de proue de la révolution russe, comme c’est souvent le cas lors de changements de régime. À Genève, une plaque discrète en l’honneur de Lénine résiste pourtant aux aléas de l’histoire. Elle a été installée il y a 50 ans, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Révolution soviétique. Elle est le résultat d’un compromis, mais n’en a pas moins fait l’objet de contestations au moment de sa pose, en 1967.

Le 4 novembre de cette année-là, la plaque est dévoilée officiellement au numéro 5 de la rue des Plantaporrêts. On peut y lire:

«Vladimir Ilitch Oulianov, LENINE, fondateur de l’Union soviétique, habita cette maison de 1904 à 1905.»

Ce sont le conseiller d’État socialiste André Chavanne et les ambassadeurs soviétiques Kisselev et Mironova qui inaugurent la plaque. En plus des autorités diplomatiques et politiques habituelles en ces circonstances, quelques centaines de personnes sont présentes. L’harmonie La Lyre joue L’Internationale et les hymnes suisse et soviétique. Cent-quarante personnes invitées sont reçues ensuite au Palais Eynard. Comme il se doit, vins locaux, jus de fruits et eaux minérales sont proposés. Il y a même du whisky, mais pas de vodka.

C’est une lettre de l’ambassadrice russe auprès de l’ONU, Zoya Mironova, qui est à l’origine de la pose d’une plaque en l’honneur de Lénine à Genève. Elle écrit aux autorités genevoises en mars 1967 pour signaler que la Représentation permanente de l’URSS demande qu’une plaque commémorative soit posée sur le bâtiment de l’Université de Genève, aux Bastions. À l’appui de sa demande, elle invoque dans sa lettre d’autres personnages illustres, dont les noms ornent rues et bâtiments genevois, comme Rousseau, Voltaire ou le président américain Wilson. À Genève, un comité se constitue pour soutenir la démarche. Il est composé de personnes engagées politiquement à gauche et de spécialistes de l’histoire.

La solution des Plantaporrêts semble un bon compromis pour les autorités. À leurs yeux, ne rien faire serait diplomatiquement difficile, mais poser une plaque sur le bâtiment de l’Université de Genève marquerait une reconnaissance bien trop grande au fondateur de l’État soviétique.

La rue des Plantaporrêts permet donc de conserver «la profonde sympathie» du peuple soviétique tout en reléguant Lénine dans une petite rue peu fréquentée du bout du quartier de la Jonction.

En 1967, la pose de cette plaque et les fastes qui l’entourent ne sont pas du goût de tout le monde. Le 13 novembre, des inconnus installent une autre plaque devant le musée Rath. On peut y lire : «À la mémoire d’Alfred Doess, citoyen genevois, assassiné à Pétrograd en 1919, lors du pillage de la légation de Suisse.» Il est aussi indiqué que la stèle sera inaugurée par les autorités au début du mois de décembre. L’inscription est exacte: Alfred Doess a bien été fusillé par les Soviétiques. Cette plaque en pavatex est toutefois un canular. Il est le fait de personnes agacées que l’on rende hommage à Lénine. Elles ne seront pas identifiées. Un journaliste évoque sur le moment les «Petits-fils de Toepffer», un groupe nationaliste, actif au début des années 1930.

Le conseiller municipal Noël Louis (indépendant chrétien social) interpelle le Conseil administratif, l’exécutif de la Ville. Le 25 janvier 1968, ce dernier justifie la démarche, en invoquant les «nombreuses visites de touristes soviétiques». On peut se demander ce que l’expression «nombreux touristes» pouvait signifier en pleine guerre froide, au vu de la difficulté pour les Russes de voyager librement à l’Ouest. Par la voix du conseiller administratif libéral François Picot, l’exécutif précise encore : «La pose de cette plaque constitue le rappel d’un événement historique. Les autorités n’ont pas entendu, par leur présence à cette cérémonie, prendre position au sujet de la pensée politique de Lénine et de son influence dans la société contemporaine.»

Un canular : la plaque en pavatex apposée contre le musée Rath. © Fonds Interpresse, Bibliothèque de Genève.


Cet article est paru dans le numéro de mai 2018 de Passé simple, mensuel romand d’histoire et d’archéologie, www.passesimple.ch



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