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Culture / Un livre terrible et beau, un devoir de mémoire


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«Houris», Kamel Daoud, Editions Gallimard, 416 pages.



C’est un livre terrible et beau. Le lecteur et la lectrice oscillent entre le plaisir de la lecture d’une belle langue, celle de Kamel Daoud, et l’effroi face à ce que dit cette langue, à ce qu’elle raconte. Cela se passe en Algérie. Aube est enceinte, elle raconte son histoire à l’enfant qu’elle porte. Son histoire et celle de la guerre civile qui a sévi de 1992 à 2002. Aube est muette, le couteau d’un islamiste voulant l’égorger alors qu’elle était enfant, la nuit du 31 décembre 1999, a détruit ses cordes vocales. Elle porte au cou la cicatrice de cet acte barbare, c’est un collier que plus personne ne veut voir en Algérie. Cette guerre civile, il est interdit d’en parler, sous peine d’amende et d’emprisonnement, au prétexte d’amnistie des crimes et de réconciliation nationale. La seule guerre admise officiellement est celle d’indépendance, dans les années 1950 et 1960. C’est un livre terrible car il dit cette guerre dont on ne doit pas parler, les dizaines de milliers de morts, les égorgements sauvages d’hommes, de femmes et d’enfants, les villages décimés; terrible aussi par ce qu’il dit de la condition des femmes en Algérie. C’est un beau livre parce que Kamel Daoud est un formidable écrivain. Aube ne sait pas si elle va garder l’enfant qu’elle porte dans son ventre, si elle peut le faire dans un pays qui ne veut pas voir sa cicatrice à elle et entendre le souvenir de ses plaies, qui ne veut pas voir ses cicatrices à lui ni ses plaies. Oui, Kamel Daoud est un formidable écrivain, il sait dire tout à la fois la vie et la mort, être tendre et respectueux avec ses personnages mais résolu face à la réalité qu’il décrit. «Les armes? Ce furent des couteaux et des mosquées et des hommes barbus et l’hiver, un jeu de cache-cache et ma sœur Taïmoucha et les moutons de mon père et son dos d’homme qui ne sait plus où aller ni quoi tenter pour échapper aux menaces du jour et de la nuit. Il y eut plus de 1'000 morts à Had Chekala. Ou 453. Ou des dizaines selon les journaux. Ou personne, selon le décompte actuel.»


Kamel Daoud sera au Livre sur les quais, à Morges, vendredi 30 et samedi 31 août, dimanche 1er septembre.

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