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Culture

Culture / L'urgence contre la démocratie

Marie Céhère

5 avril 2024

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«L'empire de l’urgence, ou la fin de la politique», Julien Le Mauff, Presses Universitaires de France, 223 pages.



L’urgence comme mode de gouvernement, nous l’avons vue à l’œuvre lors de la pandémie de Covid-19. Nous y étions déjà accoutumés. Julien Le Mauff, historien et enseignant-chercheur en science politique, fait remonter aux attentats du 11 septembre 2001 cet «empire de l’urgence», dans lequel nous vivons donc depuis plus de vingt ans. L’état d’urgence consiste à prendre toutes mesures au nom de la raison d’Etat, et la première est de suspendre l’exercice «normal» du pouvoir. Il y a plus urgent que la démocratie, lorsque l’on parle de terrorisme ou d’une maladie mortelle. Or, dénonce l’auteur, le mot d’urgence est aujourd’hui dévoyé: tout problème sur lequel se penchent nos politiques devient aussitôt une «urgence»: hôpital public, trafic de drogue, harcèlement scolaire... Il met en place une dialectique: dans un état d’urgence, l’exception fait la règle. En citant Carl Schmitt, il rappelle qu’en allemand le mot urgence se traduit aussi par nécessité. La nécessité, l’état d’urgence donc, a aussi accompagné la naissance de l’Etat moderne et de sa souveraineté. Le paroxysme et l’archétype de la raison d'Etat comme alibi de la tyrannie dans l’histoire étant le massacre des Innocents. Il ne faudrait donc pas opposer si rapidement état d’urgence et état de droit, mais plutôt état d’urgence et démocratie. Par ce qu’il nomme la «violence souveraine», aussi bien des décisions arbitraires que de la répression policière, l’état d’urgence est un «moment baroque», celui du «retour du prince». Devant l’incapacité par essence de la démocratie à s’exercer dans un état d’urgence permanent, une autre forme de souveraineté que celle du peuple par le peuple et pour le peuple se recompose petit à petit, autour des différents lieux de pouvoir. Rien d’étonnant à ce que Julien Le Mauff conclue son raisonnement par un appel à devenir «ingouvernables», tant que le droit est employé à combattre discrètement la démocratie.

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