Média indocile – nouvelle formule

Chronique

Chronique / Quand Jean-Francois Braunstein éreinte les délirants de la philo

JL K

28 septembre 2018

PARTAGER

Prof à la Sorbonne, l'auteur de «La philosophie devenue folle» a lu à fond les idéologues anglo-saxons foldingues représentant un prétendu progressisme – théoriciens du genre, «animalitaires» et eugénistes -, pour mieux en fustiger l’aberrante régression. Son livre très documenté suscite autant l’effroi que le rire et la révolte, avant d’en appeler à une plus amicale sagesse…



Vous pensez encore, vieilles peaux, que le sexe biologique distingue chattes et matous autant que mecs et nanas? Vous vous croyez d’une espèce si différente de celles de vos chiens et chèvres que vous vous retenez de forniquer avec elles? Vous sacralisez la vie humaine au point de discuter du droit d’en disposer à son gré! Mais dans quel monde vivez-vous donc? N’avez-vous pas compris qu’il est temps d’en changer? 

C’est du moins à quoi, dans les grandes largeurs d’une croissante ouverture à indifférenciation généralisée, en appellent certains idéologues d’une mouvance très influente dans une partie significative de la communauté universitaire surtout américaine, mais pas que. 

 La visée globale de cette nouvelle «philosophie» est de niveler toutes les frontières entre catégories sexuelles humaines et entre espèces vivantes également «sensibles», de briser tous les tabous liés (notamment) à l’inceste, à la pédophilie, à la zoophilie, au respect des handicapés en particulier ou plus généralement à l’élimination des individus jugés indignes de vivre par les «experts», dans la perspective d’une vie plus dignement jouissive pour tous les individus voués au même compost égalitaire final. 

Fariboles d’ados surexcités par trop de séries pseudo-futuristes brassant fantasmes et fumisterie? Absolument pas: théories étayées au plus haut niveau académique par des pontes et pontesses bien établis dans leurs chaires – manquant terriblement de chair hélas –, dont les thèses et les livres à succès ont fait le tour du monde. 

Si vous n’avez pas encore entendu parler des très célèbres John Money, Judith Butler, Donna Haraway et Peter Singer, pour ne citer que cet inénarrable quatuor de gourous avérés, c’est le moment de sortir de votre trou quitte à crier «pouce» dans la foulée! 

Quand la Sorbonne se la joue Rabelais...

Chacune et chacun, dans la multitude de cette nouvelle abbaye de Thélème virtuelle que figure le Réseau mondial, se rappelle la virulente pétulance avec laquelle un certain Alcofribas Nasier – dit aussi François Rabelais dans les dictionnaires –, fustigea les doctes pédantissimes de la sorbonnicole et sorbonnagre Sorbonne en son Tiers livre, et c’est donc avec un clin d’oeil qu’il faut saluer l’apparition, en la même Sorbonne, d’un émule de l’abbé fripon, en tout cas pour l’esprit, et le remercier d’avoir, tel le routier sympa, roulé pour nous sur les autoroutes de la connaissance. 

Grâce à lui, c’est en effet une véritable somme de savoir tout frais que nous trouvons dans La Philosophie devenue folle, livrée en langage limpide et souvent relevée de fine ironie ou de bonne fureur. Nul besoin d’avoir un diplôme de philo pour apprécier cet ouvrage salubre frappé au sceau du sens commun, aboutissant à la conclusion que chacune et chacun, au fond, sait ou sent de longue date ce qui est «décent» et ce qui ne l’est pas, quoi qu’elle ou il fasse «de ça»... 

Mais venons-en au sujet. Qu’est donc cette «folie» pointée par Jean-François Braunstein? N’est-il pas légitime de remettre en cause les classifications rigides liées à la définition des sexes, après qu’on a laissé tomber le critère de race ? Et comment s’opposer aux défenseurs de la cause animale? Pourquoi ne pas envisager une légalisation de l’euthanasie? Une question subsidiaire se pose cependant, et c'est jusqu'à quelle limite et quelles conséquences on efface, précisément, toute limite?  

Exemples à l’appui, Jean-François Braunstein montre alors comment, à partir d’interrogations légitimes et de remises en question en phase avec l’émancipation des moeurs, à la bascule des années 60-70 du XXe siècle, et principalement en Occident, des intellectuels plus ou moins éminents et typiques de l’esprit libertaire de cette époque en sont arrivés à des théories et, parfois, des pratiques effarantes, voire effrayantes. 

Un tétramorphe de jobardise 

Le premier exemple est celui du psychologue-sexologue John Money, fondateur de la théorie du genre, pour qui l’orientation sexuelle n’a pas de base innée mais relève de la «construction» culturelle. Fondant ses thèses sur l’observation et le «suivi» médical (alors même qu’il n’avait aucune formation spécifique reconnue) de sujets hermaphrodites, Money s’est fait connaître en «parrainant» deux jumeaux devenus tristement célèbres à la suite du suicide de celui qui, prénommé David, atteint d’une malformation, fut poussé de force par Money à endosser le rôle d’une fille, hormones et pressions psychologique multiples à l'appui, chirurgie comprise, pour prouver que le genre «choisi» prévalait sur un instinct sexuel inné, l'expérience ratée préludant à d'autres désastres. 

D’abord auréolé de gloire, et jamais revenu sur sa théorie en dépit de la faillite de ses applications, Peter Money alla beaucoup plus loin dans l'abjection en se faisant le chantre «scientifique» de la pédophilie «douce» ou de l’inceste «consenti», avant de perdre tout crédit public. 

Cela étant, tout en critiquant ce «pittoresque» charlatan porté, par ailleurs, sur la thérapie de groupe sous forme d’orgies conviviales, une figure plus sévère de la théorie du genre, en la personne de Judith Butler, allait pousser encore plus loin la mise en pièces de la différenciation sexuelle avant d’en arriver à nier même la matérialité du corps, celui-ci n’étant que le résultat de tous les «discours sur le corps» découlant de notre culture et de notre éducation, etc. 

Il vaut la peine, à propos de cette immatérielle prêtresse fort en cour dans les hautes sphères de l’université, de jeter un coup d’œil sur ses écrits, dont l’illisible lourdeur et la prétention pseudo-savante eût fait la double joie de Rabelais et de Molière! 

Pour détendre l’atmosphère, ensuite, un cinq-à-sept avec Donna Haraway et sa chienne Mademoiselle Cayenne Pepper s’impose, oscillant entre des lointains cosmiques très new age et une rêverie zoophile dissolvant tous nos corps et leurs attributs dans une sorte de salive échangiste dont la finalité sera d’arroser le compost idéal où, frères et sœurs, nous retournerons la bouche pleine de terre, etc. 

Mais le summum est encore à venir avec la quatrième incarnation de ce tétramorphe du délire pseudo-philosophique avec Peter Singer, parti de la défense combien louable des grands singes pour devenir une référence mondiale des «animalitaires», avant d'accentuer, de plus en plus, la confusion entre l’homme et l’animal dont les souffrances, éminemment égales, l’inciteront non seulement à une conception de l’euthanasie proche des « hygiénistes » nazis de la meilleure époque, mais à une nouvelle pratique de l’infanticide qui devrait, évidemment, régler bien des problèmes auxquels sont confrontés les parents d’enfants malformés ou déficients, sans parler de régulation démographique à grande échelle et, en attendant le Super Cyborg, la nationalisation des organes prélevés sur les vivants inutiles au profit des battants à réparer, etc. 

Cette vieille guenille de l’Homme Nouveau… 

Il y a un peu moins d’un siècle de ça, un génie polymorphe polonais, à la fois peintre, dramaturge, romancier et philosophe, du nom de Stanislaw Ignacy Witkiewicz, publia un roman prémonitoire intitulé L’Inassouvissement dans lequel, sur fond de société massifiée, un parti dit nivelliste se partageait les faveurs de la multitude avec les adeptes d’une secte orientalisante genre Moon. La notion de «folie ordinaire» y était omniprésente, dans le sillage des prédictions sur le Nouvel Homme esquissées par Dostoïevski et Nietzsche, une décennie avant celles de l’emblématique 1984 d’Orwell, cité à la fin de l’essai de Jean-François Braunstein. 

Or c’est le mérite particulier de celui-ci d’amorcer son tour d’horizon de La philosophie devenue folle, qui englobe bien d’autres «followers» des idéologues cités plus haut, en citant des auteurs dont les écrits s’opposaient explicitement à ce nivellement généralisé, à commencer par Philippe Muray et Michel Houellebecq. 

Dans sa conclusion tout à fait explicite, Jean-François Braunstein, se démarque de ceux qui, trop frileusement, assimilent identité et fermeture ou excluent tout débat  (notamment sur les «études genres» ou «queer», etc.) en rappelant que « ce sont justement les limites et les frontières qui constituent des identités multiples et permettent de les faire évoluer ». 

La façon pathétique des pseudo-scientifiques (dont une Donna Haraway ou une Anne Fausto-Sterling) de s’en prendre au «virilisme» des sciences dites dures, de la biologie à l’immunologie, pour esquiver les faits trop têtus à leurs yeux, comme au temps de la biologie stalinienne promettant au bon peuple quatre printemps par année, va de pair avec l’enfumage idéologique propre à tous les fantasmes et défiant toute contradiction de bonne foi. 

«S’il y a des limites, conclut ainsi l’auteur de La philosophie devenue folle, c’est aussi pour qu’elle puissent être dépassées, mises en question, subverties. Mais il ne s’agit en aucun cas de les effacer. Une frontière permet de vivre en paix de tel ou tel côté, mais aussi de rêver à ce qu’il y a de l’autre côté de la frontière, de la franchir, légalement ou non, et de devenir autre à travers ce passage, ce sont les frontières qui préservent cette diversité qui fait la beauté du monde, qu’il soit humain ou animal. Au contraire, pour la pensée politiquement correcte, la diversité est d’autant plus célébrée qu’elle est niée dans une recherche pathétique du même qui aboutit à plaquer sur la vie animale les exigences d’universitaires américains totalement déconnectée de la réalité. (…) C’est dans cette confrontation à l’altérité, à la négativité, que l’homme prend conscience de lui-même. (…) Il sait qu’il n’est pas un pur esprit, qu’il est indissolublement lié à son corps. Maladies et mort font donc partie de la vie de l’homme, , mais il les combat sans relâche par la science et la médecine qui est, comme disait Foucault, la «forme armée de notre finitude». Cet homme-là est un être qui affronte le monde pour en repousser les limites. Là est son bonheur, là est ce qui donne un sens à sa vie». 





Jean-François Braunstein. La philosophie devenue folle. Le genre, l’animal, la mort. Grasset, 393p. Paris, 2018.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@Chrys Thiébaud 30.09.2018 | 21h21

«Quelle surprise de lire une présentation si prosélyte d'un ouvrage qui enfonce manifestement les portes ouvertes... Si l'ouvrage est si convaincant, n'y aurait-t-il aucune place pour la distance journalistique ? L'auteur de l'ouvrage transmet-il autant de mépris pour le sujet de son travail que l'auteur de la chronique qui le présente ?
Quant à l'utilisation des termes "théorie du genre" pour évoquer les réflexions de Judith Butler, il témoigne d'un manque de rigueur désolant. Dans les faits, le genre est une notion sociologique qui a donné lieu à de nombreuses analyses, voire "théories". Il y en a plusieurs, elles sont distinctes et de qualités inégales. Et s'il n'y avait qu'une seule "théorie du genre", Judith Butler ne pourrait pas en être l'unique représentante.
Bref: la chronique que je viens de lire s'apparente tristement à une prise de position obscurantiste, encore plus ridicule que les "théories" dont il se moque. Dommage.»


@christine_clavien@yahoo.com 01.10.2018 | 20h43

«Ce monsieur Braunstein est il philosophe ou caricaturiste ? Je pencherais pour la seconde option...»


@SylT 05.10.2018 | 11h53

«Ne serait-ce que pour cette phrase:

"S’il y a des limites, c’est aussi pour qu’elle puissent être dépassées, mises en question, subverties. Mais il ne s’agit en aucun cas de les effacer. Une frontière permet de vivre en paix de tel ou tel côté, mais aussi de rêver à ce qu’il y a de l’autre côté de la frontière, de la franchir, légalement ou non, et de devenir autre à travers ce passage, ce sont les frontières qui préservent cette diversité qui fait la beauté du monde, qu’il soit humain ou animal."

je vais lire ce livre pour me faire ma propre idée. A priori, "dépasser, mettre en question, subvertir, franchir" les limites me paraît plus constructif et mesuré que d'établir, ou plutôt d'imposer, une indifférenciation généralisée.»