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Chronique

Chronique / La photo du petit Grégory


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La plume qui caresse ou qui pique sans tabou, c’est celle d’Isabelle Falconnier, qui s’intéresse à tout ce qui vous intéresse. La vie, l’amour, la mort, les people, le menu de ce soir.



L’avez-vous regardée, cette photo? Il faut la regarder. La humer, la respirer, la fixer, la toucher. © DR

Sa photo de nouveau, partout, en couverture des magazines, à la télévision. L’avez-vous regardée, cette photo? Il faut la regarder. La humer, la respirer, la fixer, la toucher.

La mèche folle sur le front, qui fait comme une virgule, ou un point d’interrogation. La mèche d’un gamin qui vient de courir, de jouer, de transpirer, et qu’on a arrêté dans sa course folle pour poser devant l’objectif d’un photographe.

Le regard, tendre, coquin, doux. Il regarde à gauche, légèrement, ou droite, suivant l’usage dont les magazines ont fait de la photo, la mise en page.

Il a les mains posées sur ses genoux. Sa main droite tient le petit doigt de la main gauche. Comme pour lui intimer de se tenir tranquille. Tranquilles, les mains, pour faire plaisir au photographe, à maman, à papa, à la maîtresse.

Ce sourire, il le donne

Le pull est confortable, épais, avec un motif en V couleur jaune, un V inversé, V comme voitures, ou vélo, ou vivant, ou victime. C’est un pull d’automne, ou d’hiver. Le pull qu’une maman a enfilé le matin sur le petit corps de son fils parce qu’elle avait peur qu’il ait froid, mais qui s’est avéré trop chaud, comme toujours, pour l’enfant quelques heures plus tard. Le pantalon en velours côtelé, brun, douillet.

Il penche légèrement la tête. Moi aussi je penche la tête sur les photos. Il penche la tête parce qu’il est un peu timide, pour créer une diversion, du mouvement, parce qu’une tête qui penche ça ressemble plus à la vie qu’une tête droite comme un i.

Il sourit sur de petites dents parfaites, sagement alignées, des dents de lait pas encore tombées, enlevées par la petite souris, remplacées par celles de la vie d’adulte. Il fait le sourire qu’on attend de lui, gentil, poli, joyeux. Ce sourire, il le donne. Il n’a pas besoin de se forcer. Mais tout de même: il donne son sourire, cadeau, pour toi maman, pour toi papa, pour toi maîtresse. Ce sourire dit je vous aime, la vie est belle.Il se tient un peu tassé sur son siège, les épaules relâchées, détendu. On l’imagine pelotonné sur les genoux de ses grands-parents, de ses tatas. C’est un enfant qu’on a envie de câliner, de chatouiller, de border dans son lit.

Cette photo me bouleverse et me dégoûte à la fois

Cette photo est devenue ce qu’on appelle une icône. A tel point qu’elle est parfois, par erreur, utilisée par de jeunes graphistes innocents pour illustrer n’importe quel article nécessitant la photo d’un enfant mignon et souriant.

Cette photo, elle me bouleverse et me dégoûte à la fois. Je suis heureuse que la mémoire de cet enfant martyr ne s’efface pas de sitôt de la surface de la terre. Je suis dégoûtée en pensant à ses parents qui regardent cette semaine la même photo que moi, dans tous les kiosques, en ouverture de tous les journaux télévisés.

Alors en pensant à tout cela, je caresse discrètement sa joue, sur cette photo, sur le papier glacé du magazine tout en haut de la pile.

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