Analyse / L’UNRWA et la livre de chair
Beaucoup a été écrit ces derniers mois sur l’UNRWA. Le récent «rapport Colonna» commandité par l’ONU à la suite des allégations d'Israël à l’encontre de cette organisation n’a pas mis en évidence de dysfonctionnement notable en son sein. Cela n’a pourtant pas suffit à convaincre nos parlementaires et notre gouvernement de lui confirmer le plein soutien suisse. Que faut-il encore?
Lors d’une discussion sur la situation à Gaza, une jeune femme palestinienne, arrivée il y a cinq ans en Suisse, a raconté combien l’UNRWA avait joué un rôle crucial dans sa vie pendant les 19 ans qu’elle a passés à Rafah.
Un témoignage et quelques chiffres
L’Office s’occupe des écoles, des hôpitaux, des centres de distribution de nourriture, et pour elle c’était le seul contact avec le monde extérieur. Parfois des délégations de l’ONU venaient pour superviser les opérations, et pour voir s’il y avait des besoins exceptionnels, par exemple de la part de malades qui nécessitaient des soins particuliers, comme ce fut le cas dans sa famille (diabète et problèmes psychiatriques). Elle insiste sur le fait que les hôpitaux de l’UNRWA étaient les seuls à donner accès aux vaccins. Le chômage à Gaza est de l’ordre de 85%, ainsi le fait que l’UNRWA donne du travail à de nombreux palestiniens est une source d’espoir, notamment pour les jeunes qui ont eu une formation avancée. Notre témoin, elle, considère avoir reçu une très bonne éducation: elle parle couramment l’anglais, et est actuellement inscrite à l’Université de Bâle, où elle suit les cours en allemand et s’est fait beaucoup d’amis et amies suisses. Lorsque quelqu’un lui demande s’il est vrai que dans les écoles de Gaza on prône l’antisémitisme, elle trouve la question ridicule car l’islam auquel elle a été formée s’inscrit dans la voie tracée par les traditions juive et chrétienne. «Nous croyons au judaïsme, dit-elle, nous ne faisons pas de différence entre les religions». Les autorités politiques palestiniennes sont absentes de son discours, elle semblent n’avoir joué aucun rôle important dans sa vie.
Bien qu’émouvant, il ne s'agit là que d’un témoignage auquel on peut – si on veut – nier toute valeur objective ou probante. Il pointait néanmoins vers l’enracinement profond de l’agence onusienne dans la vie des Palestiniens de Gaza, qui est lui bien réel. Quelques chiffres suffisent pour appréhender la situation. L’UNRWA emploie une douzaine de milliers de personnes à Gaza, dont 99% sont des Palestiniens descendants de réfugiés. D’après un diplomate suisse, l’ONG ayant le plus grand nombre de personnes actives à Gaza, mis à part l’UNRWA, en compte 35! Comment peut-on donc imaginer sortir aujourd’hui l’UNRWA du jeu sans qu’il y ait encore plus de souffrance et de morts?
La livre de chair
Dans Le Marchand de Venise de Shakespeare, l’usurier Shylock demande une livre de chair comme garantie pour un prêt d’argent qu’il concède au marchand Antonio. Lorsque celui-ci ne peut pas rembourser sa dette, Shylock réclame son dû, malgré qu’un ami d’Antonio lui offre le double de la somme empruntée. L’usurier n’obtiendra pourtant pas ce à quoi il pensait avoir droit par contrat. En effet, un jeune «docteur de loi» (en réalité la femme d’un ami d’Antonio, déguisée) arrive à le convaincre qu’il sera en tort si, avec le prélèvement de la livre de chair, une seule goutte de sang était versée. Or on ne coupe pas la chair sans verser le sang. Il a été dit qu’avec sa demande de gage Shylock, essayait d’assouvir une vengeance nourrie d’un ressentiment séculaire des Juifs envers les chrétiens.
Qu’est-ce qui motive la volonté de déraciner l’UNRWA de Gaza? Peut-être le fait que l’on n’ait plus envie de participer à porter le poids de l’Histoire. Cette organisation, dont le nom complet est Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, a été établie en 1949 comme une sorte de compensation pour la création de l’Etat d’Israël. Son budget, qui se montait à 1,2 milliards de dollars en 2023, est financé pour l’essentiel par des Etats occidentaux soutiens d'Israël (la Suisse figurait en neuvième position avec une contribution de 20 millions de francs). La situation à Gaza dérange forcément, mais on ne peut pas se venger de l’existence du peuple palestinien, déjà tellement martyrisé, en lui enlevant aujourd’hui un des rares soutiens que nous lui avons apportés. N’y a-t-il pas déjà eu assez de sang versé?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Latombe 11.05.2024 | 16h39
«Merci de cet article qui met bien les choses en perspective.
Quel aveuglement du DFAE de prendre en compte la participation d'une douzaine de membres de l'UNRWA à l'horrible attaque du 7 octobre plutôt que la respectabilité des autres employés au nombre d'une douzaine de milliers!
Quelle mouche a piqué des membres de la commission fédérale des affaires étrangères pour qu'elle fasse couper brusquement toute aide à plusieurs millions de Palestiniens dont plus de deux millions sont contraints à vivre une situation inhumaine due à des bombardements massifs, souvent injustifiés, régulièrement aveugles, de la part de Tsahal et totalement empêchés de se déplacer dans une zone sûre?
Au prétexte que certains Ukrainiens réfugiés abusent de la situation du permis S va-t-on aussi supprimer l'aide à tous?
DFAE et commission veuillez raison garder!»