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Analyse


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S’il est compréhensible que les festivités accueillant du public nécessitent une supervision responsable des pouvoirs publics, ceux-ci ne devraient pas en profiter pour exercer une trop grande ingérence. Les fêtes et les festivals ne sont pas des lieux où faire de l’éducation civique, ou de la propagande électorale.



Un observatoire

Avec la rentrée, la grande saison des fêtes et des festivals vient de s’achever. Il y en a eu des milliers de tailles très variables. Chacun de ces rendez-vous a offert un observatoire de notre société. Certains rassemblements sont en phase avec la consommation de masse: deux millions de personnes en trois jours au Züri-Fäscht, la plus grande fête populaire du pays; un quart de million au Paléo, sur six jours; un quart de million au Montreux Jazz, en 500 concerts, sur 16 jours; 100'000 à l’Open Air de Gampel, en un week-end; etc. Du côté des pratiques vertueuses, se généralise la conscience d’une nécessaire gestion raisonnée des déchets. Il était temps! Du côté des pratiques douteuses nous aurons vu que des stars arrivent à toucher un cachet à six chiffres pour des performances en play-back, que l’argent liquide est de plus en plus banni des festivals, et que très rarement l’énergie consommée fait l’objet d’un bilan. Ces pratiques ne font que traduire le fait que nous vivons dans une société du paraître, où la surveillance digitale est croissante et l’écologie de façade. La tendance qui retiendra pourtant notre attention est celle des pouvoirs publics à intervenir de plus en plus dans la programmation des festivités.

Festivités et pouvoir

Le pouvoir politique a de tout temps eu intérêt à distraire les foules, au-delà d’assurer le minimum pour la subsistance de chacun. C’est ce que résume la locution panem et circenses. La télévision, les événements sportifs, et beaucoup de fêtes et beuveries estivales contribuent à cette stratégie. Les latins disaient aussi semel in anno licet insanire: une fois par an il est légitime de devenir fou. Ainsi, pendant le carnaval, un monde à l’envers est souvent mis en scène, où c’est le roi de la fête – généralement un pauvre – qui détient les clés du pouvoir, et où l’on se moque des vrais puissants. Le pouvoir usuel se met alors en retrait pour quelque temps, et laisse les masses se défouler. Dans ce rituel, le vrai pouvoir n’est jamais très loin de la fête, mais il voit l’intérêt de laisser faire.

Les célébrations de la Fête nationale du 1er août sont naturellement organisées par les communes. Elles suivent de près ou de loin un même schéma: introduction, discours d’une personnalité, chants patriotiques, spectacle. Longtemps les feux d’artifice ont été une partie incontournable de ces célébrations. Cette année, de nombreuses municipalités ont décidé de ne pas en tirer, en donnant des motivations variées: leur coût, leur nuisance sonore, leur impact sur l’environnement, etc.

Une initiative populaire avait déjà été lancée en mai 2022, pour inscrire dans la Constitution suisse l’interdiction des «pièces d’artifice qui causent du bruit». A ce jour, cette initiative a presque réussi à récolter les 100’000 signatures nécessaires pour être soumise au peuple. Un peu partout le débat sur la pertinence des spectacles pyrotechniques a été instrumentalisé à des fins politiques, au point que le premier parti du pays, l’UDC, a invité à célébrer un «jour de résistance face à la culture de l’interdit de la gauche rose-verte», et à faire «voler en éclats» avec des feux d’artifice les «diktats du genre», les «activistes climatiques», etc. Le sens de la fête a été complètement perdu! Des municipalités ont aussi imposé d’autres privations, la plus éclatante ayant peut-être été celle d’un 1er août à 90% végétarien voulu par le maire de la ville de Genève. Ces interdictions rappellent celles prononcées l’année dernière à l’encontre des écrans géants à l’occasion du controversé mondial de football au Qatar.

Le pouvoir interdit et autorise

En plus de ces interdictions discutables, il y a aussi eu des autorisations qui ont soulevé des questions. La plus remarquable ayant été celle qui – dans le cadre du Festival de la Cité – a permis la tenue du spectacle Ejaculate dans la cathédrale de Lausanne. En ce lieu consacré, les femmes d’une chorale réunie pour l’occasion ont désiré partager leurs pratiques féministes et queer. Nous avions bien lu qu’à Genève des pasteurs de l’Eglise protestante vont jusqu’à envisager de caractériser Dieu par le pronom iel, mais la performance de la chorale dans ce lieu si spécial a été perçue par beaucoup comme un acte de guerilla culturelle.

Malgré le remous causé par cette affaire, elle n’a pas été signalée dans le bilan du Festival, qui a pu la considérer comme secondaire, vu qu’il a accueilli, en six jours et 167 représentations, plus de 100'000 «visiteur.rice.xs»… Le même bilan ne mentionne pas non plus le fait que pour la première fois en vingt ans de présence au Festival, les tenanciers d’un stand de cuisine vietnamienne ont dû renoncer aux nouilles sautées aux crevettes, car ces dernières ne sont pas un produit local. C’est en regroupant ce genre d’interdictions et d’autorisations que l’on mesure l’ingérence du pouvoir politique. A Lausanne comme ailleurs, il y a des diversités plus importantes que d’autres, et la fête a quelque peu changé de goût. Les insatisfaits n’ont qu’à aller voir ailleurs…

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Chan clear 08.09.2023 | 17h54

«Comme vous le dites si bien les insatisfaits n’ont qu’à aller voir ailleurs ou faire un tour du côté des urnes lors des prochaines votations.»


@Soanasia 12.09.2023 | 11h36

«J'ai été très choquée par le Festival de la Cité, qui est devenu un lieu de propagande woke assez terrible... »


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