Lu ailleurs / Rijeka, capitale de la culture
Depuis 35 ans, l’Union Européenne célèbre chaque année une ou plusieurs capitales de la culture, dans le but de renforcer les liens entre Européens et de célébrer leurs différences. Cette année, Galway (Irlande) et Rijeka (Croatie) s’y collent. Nous avons reçu la carte postale de la NZZ, postée de Rijeka.
Contrairement à ce qu’affirme la légende, le père de l’Europe Jean Monnet n’aurait jamais dit: «Si c’était à refaire, je commencerais par la culture». Que l’Union Européenne soit toujours à la traine en matière de cohésion culturelle, concentrée sur les envahissantes questions économiques et politiques, est un fait. Mais quand il s’agit de symboles, l’UE répond présente. Depuis 1985, sur une idée de l’actrice et Ministre de la Culture grecque Melina Mercouri, chaque année est l’occasion d’honorer une ou plusieurs «villes de la culture». Athènes fut la première. Anoblies dès 1999 en «capitales européennes de la culture», les villes choisies - par le Conseil des ministres de l’UE - capitales nationales ou non, suivant un roulement précis entre Etats membres et parfois non membres, anciens et nouveaux arrivants, sont supposées «mettre en valeur la diversité de la richesse culturelle en Europe et les liens qui nous unissent en tant qu’Européens», dit la Commission européenne. Les choix ont parfois une tonalité politique: Berlin-Ouest en 1988, Istanbul en 2010.
Des expositions, des manifestations culturelles de toutes sortes, des festivals, sont au programme. Financés par des fonds européens, bien sûr. L'Union octroie une enveloppe globale d’environ 50 millions d’euros (le budget total de l’UE en 2020 s’élevant à 148 milliards d’euros).
Le calendrier des candidatures est plein jusqu’en 2033. On peut donc imaginer que les avantages, les retours sur investissements, s’il est convenable de s’exprimer ainsi lorsqu’il est question de culture, sont attractifs. Les retombées médiatiques sont incontestables. Mais les villes sélectionnées pointent du doigt l’insuffisance du budget alloué par l'UE. La fréquentation touristique et le coup de pouce économique sont certes au rendez-vous, mais à court terme seulement.
La Commission ajoute à ces réserves que peu de villes organisatrices semblaient jusqu'ici vraiment attachées à la dimension européenne de la chose.
Il faut enfin souligner l’absence de la Suisse dans ce programme, alors qu’il est possible à tout pays européen, membre de l’UE ou non, de se joindre aux festivités. La Confédération a décidé de faire cavalier seul en créant la Capitale culturelle suisse, toujours à l’étude.
Le charme singulier de Rijeka
Cette année, les deux élues sont Galway, une ville de 80 000 habitants sur la côte ouest de l’Irlande, et Rijeka, sur l’Adriatique, en Croatie. La Neue Zürcher Zeitung a saisi l’occasion pour proposer à ses lecteurs une visite guidée de la cité dalmate, aussi connue sous le nom de Fiume, le port de la flotte austro-hongroise du temps de l’Empire.
Comparable à Lausanne par sa taille et sa densité, Rijeka, ville natale de l’écrivain germanophone Ödön von Horváth (Jeunesse sans dieu, 1937) est une véritable mosaïque de cultures, d’histoire et de civilisations. La présence catholique est l’une des rares constantes de l’histoire de la ville, gouvernée par la gauche depuis des décennies, note le quotidien alémanique. La plus ancienne église, du XIIème siècle, est toujours fréquentée ... et aujourd’hui entourée d’immeubles brutalistes datant de la période yougoslave. Le socialisme de Tito, et bien avant lui les Romains, les Italiens, les sujets de l’empire des Habsbourg, les Croates, ont laissé leur empreinte architecturale. La capitale européenne de la culture est un labyrinthe de chantiers navals à l’abandon, de grues, de hangars, d’immeubles de béton, de forteresses romaines et de palais impériaux fin de siècle.
Un charme «étrange», assorti à celui d’Ivan Šarar, le responsable municipal de la culture. Ce quadragénaire a commencé sa carrière comme claviériste dans un groupe punk. «Le poids de l’histoire de Rijeka est un peu encombrant», concède-t-il. La ville est au carrefour de l’Italie, de l’Europe centrale et des Balkans: un enjeu politique, ethnique et un objet de conquêtes depuis sa fondation. Occupée par les légionnaires de Gabriele D’Annunzio, par les Oustachis d’Ante Pavelić et satellisée par l’Allemagne nazie, annexée à la Yougoslavie, attaquée par les Serbes de l'armée populaire yougoslave, Rijeka affiche aujourd’hui ses cicatrices, ses ruines, les stigmates de son passé plus ou moins glorieux, et son élan vers l’avenir. Un musée ouvrira cette année consacré au yacht du maréchal Tito. Le jeune Klimt a réalisé les plafonds du Théâtre national. On plante des jardins suspendus sur le toit des bâtiments préfabriqués.
Rassurons-nous, la cohésion culturelle européenne est bien en marche. L’année honorifique de Rijeka, première ville de Croatie à se voir attribuer le titre, s’ouvre sur un slogan politiquement neutre, positif et historiquement pudique: «Port de la diversité».
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