Lu ailleurs / A Venise, la lagune est à vendre et les touristes sont majoritaires
La population du centre historique est passée sous la barre des 50'000 habitants tandis que 28 millions de visiteurs s’y rendent chaque année. Le magazine «L’Espresso» relate comment des citoyens se battent pour qu’une des îles de la Lagune encore propriété de l’Etat ne soit pas sacrifiée au tourisme et reste accessible aux Vénitiens.
Parmi les calamités de l’époque, il en est une souvent sous-évaluée: le tourisme. Sous-évaluée car on la confond régulièrement avec la curiosité, l’attrait pour d’autres rivages, la découverte du monde. Le tourisme n’est bien sûr rien de tout ça. Il s’agit d’une industrie, d’une des nombreuses entreprises d’aliénation actives aujourd’hui. Personne ne découvre jamais rien en faisant du tourisme, si ce n’est – c’est rare – sa non-présence au monde, que ce soit à Penthalaz ou à Bombay.
Venise est une destination touristique très courue. Alors que la population de son centre historique vient de passer sous la barre des 50'000 habitants, celui-ci accueille 28 millions de visiteurs par année, c’est-à-dire environ 560 touristes pour un habitant. Des habitants qui subissent de nombreux désagréments dus à ce «succès» touristique: pollution, accumulation de déchets, disparition des négoces traditionnels au profit des boutiques de souvenirs, etc.
Une action citoyenne
C’est dans ce cadre-là qu’il faut lire l’article du magazine italien L’Espresso, «La lagune de Venise est à vendre, mais Poveglia veut rester publique».
Poveglia est une île vénitienne inhabitée. «En 2014, l'Agence immobilière de l'Etat, propriétaire de l'île, a annoncé la possibilité d'acheter Poveglia aux enchères, à base zéro. Presque en plaisantant, des clients du bar Palanca à Giudecca ont organisé une collecte qui s’est transformée en un crowdfunding international. En quelques semaines, près de cinq mille personnes répondent à l'appel de l’association créée pour l’occasion: Poveglia Per Tutti, en donnant une part de 99 euros chacune dans le but d'obtenir l'île en concession pour 99 ans. C’est ainsi près d'un demi-million d'euros qui est récolté. Le seul autre acheteur intéressé est un entrepreneur incognito qui a fait une offre de 513'000 euros. Or, il s’est avéré qu’il s’agissait du fondateur de la holding Umana, Luigi Brugnaro, lequel sera élu maire de Venise l'année suivante. L'Office des biens de l'Etat a rejeté son offre, puis fini par suspendre celle de l’association pour des raisons bureaucratiques.»
Nos confrères de L’Espresso rappellent: «En quittant le canal de la Giudecca, en contournant l'île de San Giorgio et en suivant la route en direction de l'embouchure du port de Malamocco, les îles de la lagune sud se succèdent: d'un côté, La Grazia, récemment vendue à un groupe privé qui projette d'y construire un complexe de luxe, et de l'autre, San Servolo, qui, en plus d'abriter le musée de l'Asile, est aujourd'hui un lieu de mariage très prisé. Il y a aussi San Clemente, qui abrite un hôtel élégant, et l'île artificielle de Sacca Sessola, qui, après avoir été achetée par un géant de l'hôtellerie, a changé de nom pour celui d’Ile des Roses, plus attrayant. Le projet touristique et résidentiel proposé par le groupe d'entrepreneurs qui a acheté la petite île de Santo Spirito il y a vingt ans n’a, lui, pas encore été lancé.»
Un projet de parc urbain
En 2018, le tribunal administratif régional de Vénétie a déclaré illégitime le refus de l'Agence des biens de l’Etat d'attribuer, au moins temporairement, l'île à l'association Poveglia Per Tutti, laquelle continue à récolter des idées pour l’île, en impliquant, par exemple, des universités ou des études d'architecture et de paysage. «Chaque année, le "Sagrànomala" est le rendez-vous fixé pour se rencontrer, recueillir les adhésions et définir ensemble les prochaines étapes. "Maintenant, c'est tout ou rien. Et nous avons promis à nos membres de tout prendre", a déclaré Fabrizia Zamarchi, présidente de Poveglia Per Tutti, à l'ouverture de la dernière réunion publique à laquelle ont assisté plus d'une centaine de sympathisants. Le nouveau projet, qui concerne les trois parties de Poveglia, à savoir l'île verte, la zone bâtie et l'octogone (structure défensive datant du XIVème siècle), a été présenté: il s'agit de créer un parc urbain dans la lagune, avec un jardin public, de veiller à son entretien et de rendre à la zone bâtie sa sécurité et sa fonctionnalité.»
Dans une Venise envahie par les touristes, ce groupe de citoyens se bat pour conserver un peu d’espace public. C’est courageux. Sauf que les Vénitiens sont très largement minoritaires à Venise et qu’à un contre 560, les chances de gagner sont faibles.
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