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Actuel / Sexe, meurtre et chansons maoïstes

Yves Tenret

12 octobre 2017

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Dans le livre «Coup d’Etat à Pékin», deux journalistes font le récit du fait divers qui a changé l’histoire récente de la Chine. Bonne introduction à l’histoire de la Chine contemporaine, leur livre donne des clés pour mieux appréhender la prochaine élection présidentielle chinoise.



Si on veut comprendre ce qui va se passer en novembre 2017, date de la toute prochaine réunion du Comité centrale et de l’élection du nouveau président, au XIXe Congrès, il faut lire de toute urgence Coup d’Etat à Pékin qui est l’une des meilleures introductions à l’histoire de la Chine contemporaine. 

Xi Jinping, le président actuel, réunit dans ses mains plus de pouvoir qu’aucun dirigeant n’en a eu depuis la chute de Mao. Il y a une règle non écrite disant qu’un dirigeant ne peut pas exercer plus de deux mandats de cinq ans mais on ne peut pas exclure une possible tentative de se maintenir au pouvoir en invoquant les réformes qu’il est en train d’accomplir, la fragilité de l’économie, etc.

Tout a commencé...

En novembre 2011, la presse internationale s’affole: des rumeurs de coup d’Etat se sont propagées à Pékin. Bo Xilai, charismatique chef du Parti communiste chinois de Chongqing, a été limogé alors qu'il aspirait à devenir l'un des membres du comité permanent du Bureau politique du Parti. Internet s’emballe. Informations contradictoires et rumeurs circulent. Des blindés feraient mouvement vers la capitale et des coups de feu auraient été entendus dans la Cité interdite. Il y aurait eu une tentative de coup d'Etat fomentée par le très puissant Zhou Yongkang, responsable de la police et de la justice au sein de la direction du Parti. Sur Sina Weibo, le twitter chinois, sont censurés les mots «coups de feu», «Bo Xilai», «Wang Lijun».

Que s’est-il passé?

A l’origine de cette affaire, il y a la découverte au «Lucky Holiday», un hôtel de luxe de Chongqing, métropole provinciale de... 32 millions d’habitants, du cadavre d’un citoyen britannique nommé Neil Heywood.

Neil Heywood. © DR

La police conclut à un empoisonnement par excès d’absorption de whisky. Elle fait incinérer le corps et inhume ses cendres dans la précipitation. Peu de temps après, un policier haut gradé se réfugie dans un consulat américain et déclare que cet Anglais a été assassiné par la femme d’un haut dirigeant du Parti… A partir de là va se déclencher une réaction en chaîne qui va conduire à l’élimination du chef du Parti communiste de la province, Bo Xilai, de sa femme, Gu Kailai, du chef de la police Wang Lijun et qui va passablement affaiblir le président en exercice.

Qui est Neil Heywood?

Les menaces proférées par Neil Heywood à l'encontre du fils de Bo Xilan
conduiront à son assassinat. © DR

Neil Heywood est un Anglais, venu chercher fortune en Chine avec l’espoir d’y servir d’intermédiaire pour des entreprises occidentales. Le fils Bo, Bo Guagua fait des études à Oxford et Heywood lui sert de parrain.

Gu Kailai, Bo Xilai et leur fils Bo Guagua dans les temps heureux. © DR

L’Anglais s’estime floué, il n’a pas touché les commissions promises sur les projets urbanistiques de Bo Xilai à Dalian puis à Chongqing. Le conflit s’envenime. Il profère des menaces à l’encontre de Bo Guagua, la mère de ce-dernier, Gu Kailai, décide de supprimer le British.

Communiste de gauche

Au sein du Parti, Bo Xilai joue la carte de la gauche. En Chine aujourd’hui, «conservateur» et «gauche» sont des appellations interchangeables mais lui joue une carte de gauche en menant une politique sociale très active, en luttant contre la criminalité et en invoquant à tout bout de champ, Mao Zedong, en lançant la campagnes «Chanter rouge et broyer le noir» et en remettant en vigueur des chants maoïstes. Ce qui lui attire l’hostilité de pas mal de membres du sommet du Parti, mais aussi une grande popularité dans le peuple parce qu’il mène une politique répressive mais efficace socialement parlant.

Un justicier mongol se réfugie au consulat américain!

Intervient alors un troisième personnage clé, Wang Lijun, le chef de la police de Chongqing, une sorte de super flic d’origine mongole ayant mené de nombreuses campagnes d’éradication du crime, sans s’embarrasser de beaucoup de scrupules ou du respect des lois et qui ambitionne de devenir membre du Bureau politique du Parti à Chongqing.

Après la découverte du corps de Neil Heywood, c’est Wang Lijun qui a mené l’enquête. Homme sans foi ni loi, il a vraisemblablement fait chanter Gu Kailai pour obtenir de Bo Xilai la promotion qu’il convoite. Bo Xilai, non seulement refuse, mais le gifle devant ses subordonnés. Leurs rapports s’enveniment.

Wang Lijun, se sentant de plus en plus menacé, fait défection en se réfugiant au consulat américain de Chengdu, l’autre grande ville du grand ouest chinois dans la province voisine du Sichuan où il n’hésite pas à faire des révélations sur la corruption endémique dans le régime et sur cette affaire Neil Heywood.

Bo Xilai envoie des forces de police pour essayer de le récupérer. Elles se retrouvent face à la police des provinces voisines. Puis arrive la gendarmerie, expédiée par le pouvoir central. Avec les Marines du consulat américain qui protègent Wang Lijun, cela fait quatre forces armées qui se regardent en chiens de faïence sur le terrain.

Le policier accepte de se rendre mais, comme il craint pour sa vie, il demande à être accompagné à Pékin où il a des protecteurs et où il est incarcéré.

Le super flic, Wang Lijun, durant son procès en 2012. © CCTV

La chute

Gu Kailai sera finalement condamnée à la prison à vie pour homicide et corruption, entraînant son époux dans sa chute.

Condamnée à mort en 2012, Gu Kailai voit sa peine commuée en
prison à vie. Elle purge sa peine dans un établissement de luxe. © DR

Lui, le charismatique et flamboyant chef du parti communiste de Chongqing sera condamné à la prison à vie pour complicité d’homicide, abus de pouvoir et corruption.

Le jugement tombe en septembre 2013: ce sera la perpétuité pour Bo-«chaud lapin»-Xilai. Il est incarcéré dans la prison de Qincheng, réservée aux «élites».

A propos de charisme, Bo Xilai, chaud lapin, était affublé par le peuple admiratif du surnom de «Bo Qilai», soit «Bo bite-en-l’air». Il aurait eu au moins une centaine de conquêtes. En particulier des actrices et des présentatrices puisque les studios constituent, de nos jours, des harems pour les hauts dirigeants.

Le paradoxe des paradoxes

Le plus paradoxal, c’est que la plupart des dirigeants chinois ont été victimes de Mao et continuent néanmoins à se réclamer de lui. Pour comprendre cela, il faut bien avoir à l’esprit que ce qui hante ces dirigeants, c’est l’implosion de l’URSS. Pour eux, Gorbatchev est l’exemple à ne pas suivre. Surtout pas! Xi Jinping l’a dit dans plusieurs discours, plus ou moins confidentiellement: si on commence à critiquer le fondateur du régime, on n’ignore jusqu’où cela peut aller.

La Chine actuelle est un pays totalitaire

La grande plasticité de ce système totalitaire est stupéfiante. On identifie généralement le totalitarisme avec quelque chose de gris, d’unifié, d’ascétique, en tout cas en façade, de gens en uniforme qui font de la gymnastique tous ensemble tous les matins mais la Chine nous a produit un totalitarisme très coloré, très varié, avec des vitesses régionales de développement extrêmement contrastées, un capitalisme sauvage et débridé dans une structure totalitaire, avec une répression constante des minorités et avec un parti au pouvoir qui n’a rien, ni personne en face de lui. Pas de pouvoir législatif, pas de Cour constitutionnelle, pas de parti d’opposition.

Ce qui est frappant aussi, c’est cette corruption généralisée, ces luttes de pouvoir féroces qui s’accompagnent d’enrichissements colossaux. Les sommes placées à l’étranger par les hiérarques chinois sont gigantesques! Pour donner un exemple pittoresque, lors de la campagne lancée par Xi Jinping contre la corruption, un général à la retraite a été arrêté, et, on a trouvé dans sa cave une tonne de devises, en euros, yuans et dollars. Il monnayait son influence pour les nominations au sein de l’armée.

Dans la Chine ancienne, à la cour impériale, la succession au trône s’accompagnait presque toujours de complots et d’assassinats. Il en va de même au XXIe siècle, maintenant que le régime communiste est devenu une monarchie kleptocratique qui ne dit pas son nom… La mort étrange de Neil Heywood dans un endroit écarté aurait pu passer inaperçue sans la vulnérabilité névrotique de joueurs en rivalité pour conquérir le pouvoir et sans la corruption foncière du régime. Un chef de police qui s’était fait trop d’ennemis et un politicien qui voulait à tout prix saisir la dernière chance de s’élever au poste suprême, ont transformé un événement mineur en plus important scandale politique chinois de ces quarante dernières années et ont manqué compromettre le grand spectacle que celui donné tous les cinq ans.

Et les auteurs d'annoncer en conclusion de leur ouvrage que le parti communiste pourrait bien ne pas avoir autant de chance la prochaine fois…


Pin Ho & Wenguang Huan, Coup d’Etat à Pékin, Slatkine &Cie, 2017


Les auteurs

Ho Pin, 1965, est le fondateur du groupe Mirror Media, basé aux Etats-Unis et qui rend compte depuis 25 ans de la politique chinoise. Dès 1992, dans un livre devenu célèbre, Les fils de princes de la Chine, il décrit la caste formée par les vétérans de la Révolution culturelle.

Huang Wenguang, 1964, est journaliste et publie dans le New York Times, le Chigaco Tribune. Il est l'auteur du livre autobiographique, Le petit garde rouge.


L'interview radio

Yves Tenret reçoit pour Aligre FM l’éditrice Vera Su et le traducteur Georges Liébert


Sur le site d'Aligre FM

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