Actuel / Pénurie d’eau? C’est (pas) la mer à boire!
Des guerres de l’eau font rage. Egypte, Ethiopie et Soudan se battent pour les eaux du Nil. Mexique et Etats-Unis au sujet du Rio Grande et de la rivière Colorado. La Syrie, la Turquie et l’Irak s’écharpent autour du Tigre et de l’Euphrate. Et si quelques pays, tels l’Arabie Saoudite et les Emirats, ont déjà pris des mesures sérieuses, ce n’est pas le cas pour la plupart des autres. Cata garantie dans les 4-5 ans à venir! Second et dernier volet de notre dossier consacré à l'eau.
Depuis bien des années le monde scientifique tire la sonnette d’alarme face à la pénurie d’eau annoncée. Manifestement, la plupart des dirigeants politiques de la planète s’en fichent éperdument. Et donc, si «gouverner, c’est prévoir», collons allègrement un zéro pointé à la plupart de ces messieurs-dames.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un avertissement destiné aux esprits chagrins: en matière de gestion de l’eau, l’Etat d’Israël fait un «sans faute» et c’est avec ce qui s’y fait que j’illustrerai les solutions existantes. Cela n’implique d’aucune façon un soutien à la politique suivie par son gouvernement dans d’autres domaines.
Les solutions
«Lors du premier choc pétrolier de 1974, je me suis demandé si le fait que nous étions parmi les rares pays de la région à ne pas avoir un sous-sol gorgé de pétrole était une malédiction divine», raconte Ofir, directeur technique d’une usine israélienne de dessalement de l’eau de mer. «Mais, en réalité, c’est une bénédiction. Cela nous a forcés à être créatifs et grâce à cela notre pays est devenu expert en matière d’eau et une pépinière constante d’innovation dans le domaine du stress hydrique.»
Les solutions? Il y en a cinq principales: le dessalement de l’eau de mer, le recyclage des eaux usées, les techniques d’irrigation minimisant les besoins en eau, amener la population à une consommation «responsable» de l’eau et Watergen.
Mon propos n’étant pas de vous noyer (ha!) dans les détails techniques quant aux méthodes utilisées, je me contenterai d’évoquer ce qu’elles sont et les résultats qu’elles entraînent. Celles et ceux qui souhaitent compléter leur information trouveront des liens utiles en fin d’article.
Le dessalement de l’eau de mer
C’est au début des années 1960 que David ben Gurion, père fondateur de l’Etat d’Israël, évoquait son rêve d’irriguer le désert du Néguev (60 % de la superficie d’Israël) avec de l’eau de mer purifiée. Il confia la tâche de le réaliser à Alexander Zarchin, un ingénieur d’origine soviétique, qui créa alors un centre de recherches spécialisé dans le dessalement de l’eau de mer et déposa son premier brevet en 1964.
L’année suivante vit la mise en service de la première usine de dessalement de l’eau à Eilat, au bord de la mer Rouge, et la construction d’un réseau de pipelines souterrains destinés au transport de l’eau.
La gestion des ressources en eau étant centralisée, Israël dispose aujourd’hui de 31 usines de dessalement produisant plus d’un million de m3 d’eau potable par jour (soit 1 milliard de litres ou l’équivalent de quelque 300 piscines olympiques). A elle seule, l’usine de Sorek, la plus grande au monde en produit 634 000 m3 par jour.
La méthode utilisée − l’osmose inverse − est la plus écologique et la plus efficace: l’eau sous pression est envoyée à travers une membrane semi-perméable qui retient toutes les particules de plus de 0,00001 microns, donc même les sels dissous.
Ainsi, Israël, pays de 9 millions d’habitants, assure 70% de ses besoins en eau potable par le dessalement d’eau de mer, le solde provenant notamment du lac de Tibériade et de la pluie. Quant aux besoins de l’agriculture, ils sont en quasi totalité couverts par le recyclage des eaux usées.
Le recyclage des eaux usées
Dans les pays dits développés, l’eau qui sert à se laver, à faire marcher les machines à laver ou à vider les toilettes transite par des stations d’épuration et finit en majeure partie dans les cours d’eau ou la mer. Dans les pays peu développés, elle s’écoule directement dans les cours d’eau ou la mer, sans passer par la case «épuration» et contamine ainsi l’eau potable ou de mer. Un énorme gâchis!
Avec comme credo «chaque goutte compte», l’Etat d’Israël a systématisé le recyclage des eaux usées dans les années 1990.
Une usine comme celle de Shafdan collecte quotidiennement 370 000 m3 d’eaux usées, auprès de 2,5 millions d’habitants, et grâce à des technologies de pointe, l’eau qui en ressort a quasiment les mêmes caractéristiques que l’eau potable, même si elle sert exclusivement à l’agriculture et à l’industrie.
Vue aérienne des installations de Shafdan. © Techtime news
En 2021, Israël recycle et réutilise 91% des eaux usées, soit 520 millions de m3 par an, trois fois plus que dans n’importe quel autre pays, et les technologies qui y ont été développées sont exportées dans une trentaine de pays.
Paradoxe: alors que ces technologies pourraient être exploitées dans un bien plus grand nombre de pays, les habitants de nombre d’entre eux – dont la France – sont encore très réticents à consommer des fruits et légumes poussant sous eaux recyclées. Ce qui d’ailleurs ne les empêche pas de consommer ces produits importés, notamment d’Espagne où 40% de la production agricole de la région de Murcie est irriguée par des eaux traitées….
Quant aux pays musulmans (une bonne quarantaine dans le monde), c’est une autre forme de réticence qui empêche la majorité d’entre eux de commercer avec Israël…
Les techniques d’irrigation
Les premières techniques de micro-irrigation, un moyen de fortement réduire la consommation d’eau pour les cultures, date de 1965, lorsque Simcha Blass, ingénieur dans un kibboutz (ferme collective) développe un système qui, au lieu d’arroser les champs à gogo, va amener l’eau en continu, mais au goutte-à-goutte et directement à la racine des plantes, grâce à un réseau de fins tuyaux percés.
L’évaporation est donc fortement réduite et la productivité fortement augmentée, plus de 90 % de l’eau allant directement à la plante contre une moyenne de 50 % avec l’arrosage classique. Conséquence: la part de l’eau consommée dans l’agriculture par rapport au total de la consommation est bien moindre qu’ailleurs..
Netafim, la société fondée par Simcha Blass en 1965 est toujours leader mondial en matière de micro irrigation. Présente dans une centaine de pays, elle occupe quelque 4500 salariés et détient un part de 34% du marché mondial.
Nouvelles cultures de jojoba dans le Néguev, un désert qui recouvre 60% de la surface d’Israël.
Un de ses produits phares, NetBeat, permet de surveiller, d’analyser et d’automatiser l’irrigation sans besoin de présence physique de l’agriculteur (lien vers Netafim en français en bas de page).
Consommation responsable
Ce sera la partie la plus courte des solutions car elle dépend du simple bon sens. C’est dire que c’est compliqué pour bien des gens…
Première exigence: ne pas croire qu’un petit effort individuel ne vaut pas la peine sous prétexte que ce n’est qu’une goutte d’eau (économisée) dans un océan (de consommation).
Ensuite, quelques exemples: remplissez et fermez deux bouteilles d’eau et mettez-les dans la chasse d’eau: une économie de 3 litres à chaque fois! Evitez les lessives et vaisselles lorsque les machines ne sont pas pleines; laissez pousser l’herbe plutôt que de tondre chaque semaine, ce qui réduira les besoins d’arrosage. Vous adorez votre voiture que vous bichonnez avec amour? Seau et éponge demandent une quinzaine de litres contre 200-250 dans une station de lavage, etc.
Watergen: une révolution?
Fondée en 2009 par un ancien colonel, Arye Kohavi, et quelques amis ingénieurs, Watergen avait à l’origine pour but de fournir de l’eau aux hôpitaux de campagne et aux soldats, où qu’ils se trouvent. Rachetée en 2016, la société s’est réorientée et a développé des technologies pour palier au manque d’eau potable suite à des catastrophes naturelles ou dans des lieux où le manque d’eau potable est flagrant.
Comment? Elémentaire, mon cher Watson! Tout simplement en générant de l’eau potable à partie de… l’air!
© Centre d’information sur l’eau
Rappel: notre planète contient un volume d’eau total qui est demeuré quasiment la même depuis l’apparition de l’eau sur Terre. Salée à 97% et douce à 3%, ces eaux forment l’hydrosphère, c’est-à-dire l’ensemble des réserves d’eau de la Terre.
Selon la revue Planetoscope, 15 943 683 409 de litres d’eau (donc, en gros 16 milliards de litres, on ne va pas chipoter pour si peu) s'évaporent chaque seconde des océans sous l’effet du soleil. Cette vapeur d'eau océanique va engendrer des nuages dont les gouttes d’eau douce se déverseront sur notre planète sous différentes formes (pluie, neige, grêle, rosée).
Bien qu’on ne puisse pas la mesurer directement, on estime qu’à tout moment l’atmosphère terrestre contient plus d’un milliard de tonnes d’eau douce. Le génie d’Arye Kohavi a été de développer une technologie et des machines qui captent et filtrent cette vapeur d’eau pour produire de l’eau, potable selon les normes de l’OMS, même dans des zones urbaines et polluées, grâce à de puissants filtres.
La plus grande des machines actuelles de Watergen produit 6000 litres d’eau par jour et nombre d’entre elles sont déjà utilisées en Inde, au Vietnam, au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis ainsi que dans des villages ruraux tests d’Afrique centrale.
Watergen a offert trois de ces machines – qui coûtent 55 000 francs chacune – aux autorités de Gaza. Comme l’expliquait récemment à l'Agence France Pesse Fathi Sheikh Khalil, ingénieur électrique et cadre de l'ONG palestinienne Damour qui gère ces appareils, «celui qui est installé à la mairie de Khan Younès produit 5000 litres d'eau potable lorsque le taux d'humidité dans l'air est supérieur à 65% et 6000 litres si le taux dépasse 90%».
Dire que les les autorités de Gaza sont plus intelligentes que leurs homologues français semble évident si l’on en croit Nice-Matin, qui raconte que l’année dernière, le prince Albert de Monaco souhaitait offrir une de ces machines à la France car suite à d’importantes intempéries, plusieurs communes des Alpes-Maritimes manquaient d’eau. Or l’offre a été déclinée, la machine n’étant pas homologuée…
Parmi les «pays» dans lesquels Watergen exporte ses machines: la Nation Navajo, victime de grosses sécheresse cette année.
Raina Dre, une Navajo de Hard Rock, Arizona, porte un bidon qu’elle a rempli d’eau recueillie dans l’air par Watergen, le 6 juillet 2021, Cet appareil peut produire 200 litres d’eau par jour. © Navajo Times
Autres avantages des appareils Watergen: efficaces entre 15 et 40 degrés centigrades et sous humidité relative de 25 % et plus, ils permettent d’éliminer les chaînes d’approvisionnement à forte émissions de carbone et les déchets plastiques. De plus, la production d’un litre d’eau potable ne consomme que 0,3 kwh d’électricité (donc environ 6 centimes au tarif de l’électricité en Suisse).
Le plus récent des appareils actuellement commercialisés est le Watergen Mobile Box. Il pèse 15 kg, se transporte facilement, fonctionne sur 12 et 220 volts et produit jusqu’à 20 litres d’eau potable par jour.
Paramètres dont il faut cependant tenir compte
Ils concernent essentiellement le dessalement de l’eau de mer: des carences en minéraux ont été observées, le système de dessalement, basé sur l’osmose inverse, enlevant la quasi-totalité des minéraux présents dans l’eau de mer. En Israël, on ajoute donc du calcium et parfois du magnésium à l’eau dessalée.
Le dessalement est relativement friand en énergie (essentiellement fossile pour le moment). Mais les besoins énergétiques ont été réduits de 2/3 au cours des années écoulées et la méthode d’osmose inverse n’a besoin que du quart des besoins énergétiques d’autres techniques de dessalement.
Dessaler l’eau de mer = rejeter du sel dans la mer. Dans le monde, on produit chaque jour 95 millions de mètres cubes d’eau douce, rejetant plus de 100 millions de m3 d’eau plus fortement salée dont l'impact sur les zones de rejet inquiète les experts scientifiques.
Très dépendants de ce mode d’approvisionnement, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït et le Qatar dessalent essentiellement par la méthode du chauffage, procédé qui produit quatre fois plus de saumure que les technologies plus avancées, comme la filtration par membrane, utilisée notamment en Israël.
En tout état de cause, la salinisation accrue des eaux – souvent proches du littoral – est un problème qu’il convient de ne pas minimiser.
Conclusion
Il existe donc des solutions et il ne fait aucun doute que l’évolution technologique va en trouver de nouvelles et rendre les existantes plus efficaces et moins coûteuses en énergie au cours des années à venir.
Reste un grand mystère: comment se fait-il que tant d’Etats, conscients du problème du stress hydrique et dont les habitants, les agriculteurs et les industries souffrent régulièrement du manque d’eau, soient pareillement passifs?
J’ai un petit avis là-dessus: on dit que la différence entre un politicien et un homme d’Etat (femmes incluses…) est que le premier pense à sa réélection alors que le second pense aux générations à venir.
Et, comme le disait Coluche: «la moitié des hommes politiques sont des bons à rien et l’autre moitié est prête à tout».
Pour en savoir plus
https://www.lenntech.fr/bibliotheque/osmose-inverse/osmose-inverse-definition.htm
https://www.fluencecorp.com/israel-leads-world-in-water-recycling/
https://www.epa.gov/watersense/statistics-and-facts
https://www.watergen.com/home-office/
https://navajotimes.com/reznews/ntua-asks-water-customers-to-conserve-water/
https://en.wikipedia.org/wiki/Water_supply_and_sanitation_in_Israel
https://www.israel21c.org/8-israeli-inventions-for-greener-farming/
https://www.youtube.com/watch?v=taMWUjda3fA
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