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Actuel / Pandémie patriarcale


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Que peut-il y avoir de plus contagieux que le coronavirus Covid-19..?




Paulina Dalmayer


Il vous est enjoint de vous désinfecter les mains, de porter un masque, d’éviter les rassemblements, voire de rester confinés chez vous? Mesures inopérantes face à cet autre virus, bien plus mortel que le Covid-19: le virus patriarcal. «On considère que ce n’est pas le coronavirus qui doit faire peur, mais une pandémie patriarcale qui viole toutes les sept minutes une femme, qui assassine une femme toutes les 48 heures, qui justifie les discriminations et les violences sexistes.»; ce sont en substance les paroles du nouvel Evangile, répandues avec panache et conviction par les Amazones des Femen, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Torse nu, gants de protection, armée de pulvérisateurs, la task force du sexe opprimé a symboliquement récuré la place de la Concorde des miasmes du passé misogyne de l’humanité. Le jour même, le premier d’une nouvelle ère, les slogans «Mort aux mecs!» ou, dans un registre plus charitable, «Tous les mecs sont des connards, même le tien!», ont fleuri sur les murs de la ville-lumière. Nous y respirons désormais l’air vivifiant de la vindicte et de la revanche. Les espoirs de guérison totale du corps social nous sont permis, et ce à l’échelle du globe. Car même si dans certaines parties du monde- à Hollywood ou à Paris- les femmes souffrent davantage de la domination masculine qu’ailleurs, la lutte se veut universelle. 

  Objectif inatteignable à peine quelques jours plus tôt, la convergence des «dynamiques féministes» est devenue soudain réalité. La sensibilité de la romancière Virginie Despentes y est pour beaucoup, l’histoire retiendra son nom. Déclarant que les «puissants aiment le viol» car le viol est ce qui fonde précisément «leur style», la démissionnaire de l’académie Goncourt a réussi à fédérer les colères, tout en réduisant la complexité de l’organisation sociétale en deux camps opposés. Aucun leader populiste connu n’est parvenu à une telle clarté bienfaisante en si peu de mots: d’un côté il y a La Victime, de l’autre, il y a Le Mâle. Pas n’importe lequel. L’auteur de Baise-moi nous a fourni l’herméneutique de son intervention pour écarter le moindre risque de confusion donc d’injustice, laquelle s’ajouterait à celle imposée par le patriarcat. 

 Mâles racisés, détendez-vous. Vous n’êtes pas porteurs du virus. A l’instar de Ladj Ly, réalisateur issu de la foisonnante diversité des banlieues françaises et auteur du sacré meilleur film, Les Misérables, vous êtes fragiles, au contraire. Virginie Despentes l’a remarqué: les corps les plus vulnérables dans la salle Pleyel, le soir de la cérémonie des Césars, appartiennent à ceux qui «risquent leur peau au moindre contrôle de police». Les vôtres, donc. D’aucuns objecteraient qu’après avoir proféré des insultes à l’encontre de Zineb El Rhazoui, rare survivante de l’équipe de Charlie Hebdo, sans parler de son implication dans une sordide affaire de mœurs tribales pour laquelle il a purgé sa peine, le jeune cinéaste impressionne plutôt par sa vigueur. C’est ne rien saisir au sens de l’Histoire. L’indignation, qu’elle soit exprimée à travers un simple message posté sur les réseaux sociaux ou à l’aide des kalachnikov employées pour faire taire les blasphémateurs de la religion des opprimés, vient de s’imposer comme le marqueur infaillible de l’appartenance à la classe dominée. Indigné, Ladj Ly a donc le droit de cracher son mépris des valeurs de la République à mesure où celle-ci appartient aux «puissants», aux «chefs», aux «gros bonnets». Roman Polanski en fait partie, dénonce Virginie Despentes. C’est lui qui porte le virus. Même à 86 ans et faisant l’objet d’une seule plainte judiciaire depuis longtemps réglée, c’est lui qui incarne la menace. Les femmes indignées, et prodigieusement unies, en sont convaincues. Cela suffit. Qu’importent les principes fondateurs de notre justice, dont la présomption d’innocence et la prescription, à partir du moment où la justice elle-même a été inventée par les hommes blancs à leur profit exclusif.

Il serait tentant de rapprocher la rhétorique des Femen, basée sur les termes liés à la propagation mondiale du Coronavirus - pandémie, insalubrité, décontamination - aux éléments du langage de la propagande d’un régime totalitaire qui a fait plusieurs millions des morts, il n’y a pas si longtemps. Il serait stupide et hystérique de citer ici Hitler disant que «la connaissance est pour la masse un socle branlant. Ce qui est stable c’est le sentiment, la haine…» Nul besoin d’aller jusque là, de pratiquer le sophisme de l’épouvantail. Certes, l’émotion a délogé la raison. Mais nous ne verrons pas de camps de concentration destinés aux mâles blancs. C’est à se demander, si ce n’est pas regrettable. Car parmi tous ces connards de mecs, il y a nos compagnons, nos amoureux, nos collègues, les pères de nos enfants, les flics que l’on appelle quand on se fait agresser et les médecins qui nous soignent. Une fois la fête des femmes terminée, il faut les regarder droit dans les yeux. Il faut faire comme si nous n’avions pas appelé à les éliminer. Et concevoir un modus vivendi pour les années à venir, avant que nous n’atteignions collectivement l’idéal d’une société unisexe, non genrée, et parfaitement égalitaire.


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Paulina Dalmayer est journaliste. Après plusieurs mois passés en Afghanistan, elle a publié Aime la guerre! (Fayard, 2013). 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Ph.L. 12.03.2020 | 13h30

«Soudain on lit une femme absolument lumineuse, finement ironique et drôle (et juste) : le monde s'ouvre alors et l'on peut à nouveau croire à l'amour, à la fraternité, à la sororité (oui, les hommes ont aussi des soeurs...), au couple (oui, on se marie encore entre hommes et femmes), c'est-à-dire à l'alliance des contraires (je sais que je vais peut-être choquer, là, mais tant pis...), autrement dit la paix retrouvée et l'espérance renaissante, quelque chose de cet ordre. Très loin de la polémologie à la mode.
Excellent texte à rebours de la meute, Madame....»