Actuel / Le retour très théorique de l’inflation
On l’avait presque oubliée… mais la hausse des prix semble amorcer son grand retour en conséquence du choc économique provoqué par la crise sanitaire. Du moins, faute de manifestation tangible, son spectre agite-t-il beaucoup les marchés financiers.
Depuis qu’une hausse des prix du pétrole en novembre dernier a provoqué quelques petites poussées de fièvre sur le panier de la ménagère américaine, les marchés financiers n’ont plus que ça en tête: le retour de l’inflation. Cette inflation tant redoutée, qui a marqué les esprits par les ravages qu’elle a opérés dans les pays occidentaux des années 1970, qui a ruiné les classes moyennes dans des pays qui n’ont pas su la maîtriser tels le Liban, le Brésil ou la Turquie, ou qui ont tout simplement perdu tout contrôle comme le Venezuela et la Syrie. Sans remonter, bien sûr, à l’Allemagne de la République de Weimar où le kilo de pain se payait avec des valises entières de billets…
A la base du phénomène survient ordinairement un problème de planche à billets: l’autorité responsable de créer l’argent, la banque centrale, imprime trop d’argent par rapport aux besoins de l’économie. Face à la surabondance de liquidités, qui permettent à plus de gens d’acheter plus de biens ou de services, les vendeurs font monter leurs prix. C’est la surchauffe de l’économie. Ces derniers poussent d’autres prix à la hausse, enclenchant une spirale inflationniste. Celle-ci provoque en retour des revendications salariales pour compenser le renchérissement du coût de la vie. Ces hausses élèvent les coûts de production des entreprises, qui sont ainsi obligées d’adapter leurs prix vers le haut. Et ainsi de suite.
Le krach boursier de 1987
Dans les pays développés, la dernière manifestation importante de l’inflation a eu lieu à la fin des années 1980, en conséquence à la fois de la réponse des banques centrales au krach boursier de 1987, puis de la surchauffe économique consécutive à la Réunification allemande. Puis elle n’a cessé de s’amenuiser sous la pression à la fois de politiques monétaires restrictives (les banques centrales ont relevé leurs taux d’intérêt pour refroidir la machine économique) et de la mondialisation (les entreprises ne peuvent plus élever leurs prix, faute de quoi elles perdent leurs clients, attirés par des fournisseurs moins chers venant d’ailleurs). L’on parle ainsi des trente dernières années de la «grande modération», à savoir d’une très longue période où l’inflation n’a cessé de diminuer. La Suisse, à l’instar du Japon, a même connu récemment des phases de déflation, à savoir une spirale à la baisse des prix.
Le choc du covid a néanmoins profondément rebrassé ces cartes. Les fermetures d’usines et de liaisons aériennes (voire maritimes) a temporairement ralenti les échanges. Lorsque ceux-ci ont repris, les réseaux étaient désorganisés, créant des goulets d’étranglement. Ces derniers ont mécaniquement poussé les prix du transport à la hausse. Celui du pétrole a suivi, passant de 20 dollars le baril en avril à près de 68 dollars actuellement.
Les planches à billet chauffent
Pour les marchés financiers, qui interprètent ces chiffres à la lumière des conséquences qu’ils peuvent avoir sur les prix à la consommation, et donc le pouvoir d’achat des consommateurs des pays développés, ces manifestations ont résonné comme autant de signaux d’alarme. D’autant plus que, pour certains analystes, ils surviennent alors que les planches à billet n’ont jamais autant chauffé que ces derniers mois. La Federal Reserve américaine et la Banque centrale européenne notamment, ont accéléré leurs programmes d’achats de titres de dette émis par les gouvernements afin de prévenir tout risque de blocage des programmes publics de soutien à l’économie. On en revient donc au bon vieux paradigme: qui dit abondance de liquidités dit aussi retour de l’inflation.
En anticipation, les marchés financiers ont réagi comme ils le font dans de telles circonstances: ils vendent leurs titres de dette (les obligations), de peur que leurs rendements soient moindre que celles qui seront émises dans le futur. Par conséquent, les rendements de ces dernières ont monté. Or, l’un des indicateurs les plus suivis de l’évolution des taux d’intérêt dans le monde sont les rendements des obligations d’Etat américaines à dix ans. Leur rendement a explosé, atteignant 1,6% actuellement.
Pas de hausse des prix à la consommation
Mais est-ce si grave docteur? Apparemment pas, du moins pas pour le moment. Car les craintes de hausse des prix ne se matérialisent pas, du moins pas dans les statistiques des prix à la consommation. Celles-ci affichent bien une hausse de 0,4% en rythme annuel aux Etats-Unis, mais cette hausse est due avant tout… à l’énergie (donc le pétrole) et à la nourriture (donc les transports, et le pétrole aussi). En Europe, cette progression est encore plus hésitante: +0.9% en zone euro en février, mais elle était négative tout au long du dernier trimestre 2020!
En fait, les principaux déçus sont les banquiers: cela fait dix ans qu'ils rêvent d'une remontée des taux d'intérêt, qui élargirait enfin leurs marges, comprimées par ce qu'ils appellent la «répression financière». Ainsi que les banquiers centraux, qui ambitionnent depuis des années de pousser les prix à la hausse aux alentours de 2%. Si ce niveau est dépassé, ils relèvent les taux d’intérêt. S’ils baissent en-dessous de ce niveau, ils abaissent leurs taux. Le problème aujourd’hui, c’est qu’avec des taux d’intérêt proches de zéro (voire carrément en-dessous en Suisse), ils ne peuvent qu’ouvrir les robinets.
Mais que l’on se rassure: des prix montent quand même. Ce ne sont pas ceux du panier de la ménagère, mais ceux de l’immobilier (4 à 5% par an en moyenne en Suisse), des actions (les indices sont au sommet), des cryptomonnaies et des matières premières. Sauf ceux de l’or, qui baissent depuis des semaines. Pourtant, le métal jaune est considéré comme une protection contre l'inflation. C'est bien la preuve que, pour beaucoup d'investisseurs, une hausse des prix n'est pas vue comme un risque sérieux!
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