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Actuel / La Grèce à l'école de... la Bolivie

Yves Genier

21 juillet 2017

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Après sept ans de remède de cheval, Athènes voit enfin se profiler la reprise de son économie. Trente-deux ans plus tôt, la Bolivie subissait une expérience encore plus douloureuse. Et présente aujourd'hui un visage bien plus prospère, même si toujours très pauvre.



Athènes, ville recouverte des tags hurlant la colère de ses habitants frustrés par sept ans de crise, se remet à espérer la fin de son calvaire. Graduellement, les Européens et le FMI lèvent la tutelle qu’ils imposent au pays en échange de la ligne de survie qu’il lui ont accordée. Bruxelles a proposé le 12 juillet de lever la «procédure de déficit excessif», signalant le retour d’Athènes dans le cercle des nations financièrement souveraines. L’étape est certes «très symbolique», comme l’a relevé le commissaire européen Pierre Moscovici, vu que les aides vont se poursuivre au moins jusqu’en 2018 et que le gouvernement doit encore couper dans ses dépenses. Mais au moins les Grecs peuvent-ils se remettre à espérer retrouver un meilleur niveau de plutôt que de constamment le réduire.

La démocratie hellénique est le dernier pays à avoir subi les rigueurs des ajustements structurels infligés par les pays créanciers envers leurs débiteurs insolvables. Une longue histoire jalonnée de violences politiques et financières, de chômage de masse et de générations perdues, ayant affecté des nations aussi diverses que l’Argentine et le Mexique, la Russie et la Pologne, les Philippines et la Corée du Sud, l’Ethiopie et le Sénégal. L’un des premiers exemples a été livré par la Bolivie en 1985. Aujourd’hui, ce pays affiche une bien meilleure santé économique qu’il y a trente ans.

Prospère, mais toujours pauvre

Certes, ce pays d’Amérique du sud enclavé entre le Pérou, le Brésil et le Chili ne s’est pas extrait de la pauvreté. «Les inégalités de revenus dans les villes ne se sont pas creusées ni réduites (...). Mais l’on note un creusement des inégalités de revenu entre les villes et les campagnes, qui demeurent très pauvres », résume une étude de l'Université de Kiel à la demande de KfW, la banque de développement allemande. Mais le revenu par tête a explosé, le salaire minimum a quadruplé en dix ans alors que l'inflation demeure sous contrôle. En clair, dans la moyenne, les gens ont un meilleur revenu qu’il y a une génération, même s’il demeure très bas.

Mieux, ce pays historiquement très instable, titulaire du record mondial du nombre de coups d'Etat, vit depuis trente-cinq ans au rythme de la démocratie, même si les militaires ne sont jamais très loin du pouvoir. Mêmes les différentes vagues de nationalisations d'activités économiques stratégiques comme le pétrole (2006) ou l'électricité (2012) décrétées par Evo Morales, président d'extrême-gauche régulièrement réélu depuis 2006, n'ont pas conduit à un renversement de la démocratie.

Une inflation à 23 000%

En 1985 au contraire, le pays sortait de plusieurs décennies d’instabilité. Les militaires se succédaient au pouvoir, en alternance à des régimes civils. Chaque gouvernement pensait trouver la solution aux difficultés économiques engendrées par cette situation en imprimant de la monnaie. Si bien que l’inflation a explosé à... 23 000%. La dette explosait, passant en quinze ans de 46% à 124% du PIB. Les capitaux fuyaient le pays, y compris ceux détenus par ds Boliviens. En cessation de paiement, le pays n’a eu d’autre choix que de recourir au Fonds monétaire international, qui l’a transformé en laboratoire pour expérimenter les recettes d’un économiste de Harvard d’obédience libérale, Jeffrey Sachs.

Le 29 août de cette année-là, le président nouvellement élu Paz Estenssoro annonce son plan: suppression des déficits publics, réduction du nombre de fonctionnaires, unification des taux de change, renégociation de la dette avec les créanciers étrangers. Ces mesures ont eu pour effet de ralentir l’inflation puis, graduellement, de ramener la confiance dans le pays. Et les capitaux sont progressivement revenus.

«C’est le peuple qui paie»

Le coût social a été très élevé, à commencer par une explosion du chômage consécutive au licenciement de milliers de fonctionnaires. Cinq ans plus tard, alors que l’économie avait amorcé son redressement et que le pays s’affirmait comme un pôle de stabilité entre les économies hyperinflationnistes du Pérou, du Brésil et de l’Argentine voisins, la colère sourdait toujours des rues de La Paz, capitale économique du pays: «C’est le peuple qui paie», pouvait-on entendre. De fait, les écarts de revenus s’étaient creusés entre la petite minorité d’investisseurs ayant retrouvé les conditions qu’ils recherchaient, et l’immense majorité de la population, qui n’avait guère vu d’augmentation de son revenu, si même elle avait pu retrouver du travail.

Jeffrey Sachs a été le premier à reconnaître, en 1989 déjà, les limites de son programme: «Nombre de problèmes économiques et sociaux fondamentaux qui ont mené la Bolivie sur le chemin de l’hyperinflation n’ont pas disparu, voire se sont aggravés», écrit-il dans une étude publiée par le National Bureau of Economic Research à Washington. Les revenus restent très inégaux; l’Etat ne sait toujours pas où commence et où finit son rôle; et le pays reste trop dépendant du gaz et des autres matières premières pour assurer sa prospérité. Ces critiques restent valables aujourd’hui.

Nombre d’ONG et d’experts de l’avaient pas attendu pour exprimer ces critiques et même plus: la Bolivie, comme bien d’autres pays pauvres aurait accentué sa dépendance envers les financements étrangers et se serait donc liée les mains envers le Grand Capital international. Une remarque à atténuer, puisque le pas a pu nationaliser sans trop de dégâts deux de ses industries-clé, le gaz et l’électricité. Mais pour y parvenir, le gouvernement doit pouvoir indemniser les propriétaires, ce qui nécessite des moyens financiers... disponibles que qui le pays jouit d’une économie équilibrée et, si possible, en croissance.

La Grèce est évidemment beaucoup plus développée et complexe que la petite république latino-américaine. Mais son économie connaît des défauts similaires: une grande concentration en quelques secteurs, à commencer par le tourisme et l’armement maritime. Aussi le pays des Hellènes peut-il tabler sur une renaissance. Pour oublier la crise, le chômage, redonner du travail et oublier les tags des murs d’Athènes.


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