Actuel / Conflit en Ukraine: que révèle sa frontière avec la Hongrie?
Depuis l’agression de la souveraineté et du territoire ukrainiens par la Russie en février 2022 et la guerre de haute intensité qui a suivi, un second front s’est ouvert. C’est celui de l’information, avec son lot d’actions de propagande et de désinformation tous azimuts. Une fois de plus et de trop, le débat a été globalement confisqué en Occident. Reportage à la frontière la plus à l’Est de l’OTAN, entre l’Ukraine et la Hongrie où, dans l’indifférence générale, les réfugiés ont disparu et personne ne croit à une extension de la guerre à l’Ouest.
Peu satisfait par la couverture de la guerre en Ukraine dans les médias occidentaux je décide, début mars 2023, de me rendre sur la frontière de l’OTAN qui se trouve le plus à l’Est, et de facto la plus proche du conflit. A Záhony, ville hongroise d’environ 4'700 habitants, à quelques 299 kilomètres, au nord-est de Budapest, soit quatre heures de route. Záhony qui borde la rivière Tisza, affluant du Danube, marquant la frontière de l’Ukraine avec la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie, fait face à Tchop, ville de l’oblast de Transcarpatie, en Ukraine. Deux accès relient les deux communes: un pont routier – le Tisza bridge – et le Záhony (Gr). Tous deux sont distants de 1,3 km. Au pied du premier, sur la berge, il y a un excellent dégagement à la fois sur les deux ponts et plus globalement sur l’activité à la frontière ukrainienne.
© F.M.
Avant mon départ, le 6 mars 2023, je visionne les comptes-rendus de quelques intervenants qui sont plus qualifiés que moi sur la question, comme le stratège américain John Mearsheimer ou le spécialiste du renseignement Eric Dénécé (pour ne citer qu’eux), bannis de nos médias «mainstream». En raison de leurs connaissances du terrain et de l’histoire, ils osent questionner le discours dominant.
Des sources ouvertes et officielles permettent aussi de nuancer l’image binaire du conflit qu’on nous impose. Edifiant est le Rapport spécial de la Cour des comptes de l’Union européenne du 23 septembre 2021, qu’aucun de nos médias n’a repris. Ce document de 82 pages et les 14 pages de Réponses de la Commission européenne et du Service européen pour l’action extérieure qui l’accompagnent est intitulé «Réduction de la grande corruption en Ukraine: des résultats encore insuffisants malgré plusieurs initiatives de l'UE.» Il décrit, en substance, l’enracinement d’une très profonde corruption – l’existence d’un système criminel – au sein du régime de Kiev. Ce qui nuance quelque peu avec le discours occidental, qui stipule que nous défendions en Ukraine des valeurs communes.
L'absence de réfugiés
Mon champ d’observation comprend aussi la gare ferroviaire de Záhony. A cette époque de l’année il n’y a que deux trains quotidiens qui assurent le trajet, de vingt-six minutes, entre Tchop et Záhony. Sur place, les caméras et la police sont omniprésentes. Mes photos à l’intérieur des lieux ne seront que furtives. J’essaie d’attirer le moins possible l’attention. Je vis une plus grande liberté d’action à l’extérieur, sur les quais. J’y filme l’arrivée des trains. A chaque arrivée, ils sont moins d’une dizaine de passagers à descendre de convois formés par deux locomotives et quatre wagons. Les vagues de réfugiées décrites il y a peu par nos médias semblent appartenir au passé. Sur la place de la gare, on dénombre une dizaine de portacabines portant les inscriptions de la Croix Rouge hongroise, de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et de l’Organisation internationale pour les migrations (IOM). Si le personnel humanitaire se tourne les pouces et semble avoir été réduit, les infrastructures encore présentes laissent penser qu’il n’en a pas toujours été ainsi1. Deux passants m’apprennent que cela fait plusieurs semaines que plus personne ne sort d’Ukraine.
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Une présence américaine discrète
Mercredi soir 8 mars, récupérant ma voiture de location stationnée sur Petófi utca, à côté de l’église réformée, mon attention s’arrête sur deux hommes en combinaison militaire foncée, sans drapeau ni insigne, qui parlent à haute voix avec un accent américain bien marqué. Ils échangent sur un bout de trottoir comme s’ils étaient seuls au monde. Ils m’ont à peine regardé. La tombée de la nuit fait que les rues de Záhony sont particulièrement vides et une météo pluvieuse et grise depuis le début de la semaine n’invite pas à plus d’animation. Pour moi, cela signifie que je dois éviter d’être appréhendé pour quelque motif que ce soit par la police hongroise, dont les véhicules sont marqués par l’inscription «Rendórség». Cas échéant, je serais probablement signalé aux membres de l’OTAN sur place et ma qualité de «visiteur» suisse pourrait paraître suspecte.
Environnement et sentiment de la population locale
Toutes les localités de la région telles que Györöcske, Komoró, Mándok, Tiszabezdéd ou encore Tuzsér sont bâties autour d’une église et chacune est munie de son bureau de poste. Le catholicisme y est omniprésent. Sans oublier une minorité calviniste de 20%. C’est dans cet environnement de campagne à la pluie généreuse et aux couchers de soleil bucoliques que je questionne quelques habitants. Il en ressort une indifférence généralisée au conflit qui frappe le voisin. Ici, personne ne croit que les Russes vont étendre la guerre au-delà des frontières ukrainiennes. Personne non plus n’exprime un semblant de sympathie avec le régime de Kiev. Mes interlocuteurs se reconnaissent dans la posture du Premier ministre hongrois Viktor Orbán qui a, dès le début du conflit, opté pour une position équilibrée face à la Russie. Il mesure sa critique. A la fois dénonçant l’agression et refusant d’appliquer les sanctions décidées par Washington et Bruxelles et qui pénaliseraient durement l’approvisionnement énergétique de son économie. A cet effet, tout comme le voisin autrichien, le gouvernement hongrois n’accepte pas le transit d’armes vers l’Ukraine sur son territoire. Toutefois, personne n’est dupe. Et les trois kilomètres de file de poids lourds qui attendent régulièrement devant la douane de Záhony pour s’engager sur le Tisza bridge, en direction du poste frontière de Tchop, pour rejoindre la ville ukrainienne d’Oujhorod, contiennent probablement quelques armes et autres systèmes.
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Enseignements et effets de langage
Durant les quatre jours passés dans la région je n’ai rencontré aucun journaliste ni média. Je n’ai pas vu non plus ce que j’imaginais, au décollage du vol EasyJet Genève – Budapest. A savoir une frontière hyper militarisée avec des mouvements de troupes et une intense activité de part et d’autre. Certes, quatre jours d’observations sur le terrain ne sauraient permettre une quelconque généralisation. Je ne rapporte qu’un aperçu saisi au cours de la première quinzaine de mars 2023. Néanmoins, je comprends que sans une solide honnêteté intellectuelle et journalistique pour celles et pour ceux qui ont l’honneur et surtout la responsabilité de l’être, la «fabrication» de l’information peut être très aléatoire. A 1'600 km de Genève ou à 1'800 km de Paris, qui va venir, au temps où règne l’émotionnel et la dictature de l’immédiateté, vérifier une «news» produite à Záhony?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
6 Commentaires
@bvonsteiger@gmail.com 18.08.2023 | 21h09
«Très intéressant, merci ! »
@Chan clear 19.08.2023 | 16h09
«Vous avez raison et c‘est joliment dit „une solide honnêteté intellectuelle “.
Nous voulons une information non aléatoire , devoir qui lire plusieurs infos, sources differentes en langues étrangères, ceci afin d’avoir son propre avis est un parcours laborieux
Merci pour votre article!»
@abusofara 21.08.2023 | 13h32
«La frontière la plus à l'est de l'OTAN,c'est celle entre la Turquie et l'Iran.
Je note que le rapport cité de l'UE se réfère à la période 2016 à 19, c'est à dire avant l'avènement de Zelenski au pouvoir. A l'époque l'Ukraine n'intéressait pas les médias. Je sais que la lutte contre la corruption en Ukraine n'est pas terminée. On voudrait en savoir davantage sur la situation actuelle.
J'habite à 200 km de la frontière Ukrainienne. Le rapport sur la situation à la frontière ne m'a nullement étonné.»
@Paquito7 24.08.2023 | 00h17
«@abusofara, je vous remercie pour cet enrichissement du texte. De la part de l’auteur »
@stef 03.09.2023 | 16h39
«Mais pourquoi diable les médias mainstream ne font-ils pas plus de reportages de ce type ?
En tout cas merci à vous de cet éclairage »
@Christophe Mottiez 04.09.2023 | 13h32
«l'honnêteté intellectuelle de john mearsheimer, d'éric dénécé et de françois meylan est très discutable.
la corruption en ukraine et en russie n'a rien à voir avec la négation criminelle de l'identité ukrainienne commise par le régime russe.
la guerre fait rage dans le sud et dans l'est de l'ukraine -plus vaste territoire européen.
la hongrie a certes subi la domination soviétique durant la guerre froide par l'ingérence soviétique dans les affaires hongroises, mais sa souveraineté territoriale avait été respectée par les russes, ce qui ne fut pas le cas en moldavie, en allemagne, en pologne et dans les états baltes.
la quiétude actuelle dans ces petites localités hongroises n'est donc pas surprenante.»