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Actuel / Bosnie-Herzégovine, l’impossible réconciliation


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Le pays commémorait ce 11 juillet les 28 ans du tristement célèbre massacre de Srebrenica sur fond de révisionnisme et de rhétorique sécessionniste. Alors que des milliers de personnes sont toujours portées disparues depuis la guerre par manque de volonté politique, rendant inenvisageable pour les familles des victimes tout rapprochement entre Serbes et Musulmans.



«Sans reconnaissance, pas de réconciliation; sans justice, pas de paix!» Tel est depuis près de 30 ans le message des proches des victimes de la guerre ethnique qui secoua la Bosnie de 1992 à 1995. «On attend de nous qu'on oublie le passé, mais comment y songer alors que nous n'avons même pas enterré tous nos morts», confiait, il y a quelques années déjà, Refin Hodzic, porte-parole d'une association de familles de victimes. Aujourd'hui, et bien que près de 80% des personnes disparues pendant le conflit aient été retrouvées, 7'600 corps manquent toujours à l’appel, dont plus de 1'600 dans la région de Srebrenica.

Ceci malgré les mesures imposées par la communauté internationale, à savoir: une loi, unique au monde, qui exige des institutions de communiquer tous les indices dont elles disposent et qui pourraient être utiles aux enquêteurs, un fonds qui prévoit des récompenses pour ceux qui aident à localiser des charniers, ou encore une application pour signaler l’emplacement des fosses communes encore inconnues.

Un mur de silence

Mais dans ce pays, divisé depuis la fin de la guerre en deux entités autonomes – la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine d’un côté, qui réunit Bosniaques (musulmans) et Croates, et la Republika Srpska, la République serbe de Bosnie, de l’autre (à ne pas confondre avec la Serbie qui est un Etat voisin) – la loi du silence fait foi. Car les personnes susceptibles d’apporter des informations qui permettraient de localiser de nouveaux charniers sont, de fait, souvent celles qui ont participé aux exactions. Quant aux moyens accordés par le gouvernement – quinze enquêteurs seulement pour tout le pays – ils restent insuffisants.

«Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont de nature politique», confirmait récemment Mujo Hadžiomerović, membre du conseil d’administration de l’Institut des disparus de Bosnie-Herzégovine, au micro de Radio Slobodna Europa. «Nous voulions acheter des scanners d’occasion au Canada. Ces derniers, qui peuvent atteindre dix mètres de profondeur, ont permis de retrouver des os d’Amérindiens qui ont été tués. Mais il s’agit d’équipement très coûteux. Or aucun budget n’a été adopté par le gouvernement ces quatre dernières années». Le temps qui passe n’arrange rien: de nombreux témoins sont décédés et beaucoup de tombes ont été déplacées dans le but de brouiller les pistes et de détruire les preuves.

Les familles des victimes en quête de reconnaissance

Chaque année, le 11 juillet, les Bosniaques commémorent le massacre perpétré par les forces serbes de Bosnie en 1995 dans la région de Srebrenica qui a coûté la vie à plus de 8'000 hommes et adolescents musulmans, fusillés ou décapités. Considéré à ce jour comme le pire massacre en Europe depuis la Seconde guerre mondiale, il a été qualifié de génocide par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et la Cour internationale de justice en raison de son caractère systématique et planifié.

C’est à l’occasion de cette commémoration que les familles des victimes enterrent chaque année au cimetière-mémorial de Potočari-Srebrenica les ossements des corps retrouvés et identifiés pendant l’année. Des corps souvent incomplets. En tout, 31 dépouilles, complètes ou partielles, ont rejoint le 11 juillet dernier les 6'671 victimes déjà inhumées.

Il faut avoir vu les vastes hangars aux toits de tôle ondulée remplis de centaines de squelettes recomposés tel des puzzles morbides et le soulagement des familles reconnaissant un objet personnel pour comprendre l’importance que représente aux yeux des proches des victimes le minutieux et effroyable travail d’identification ADN des experts. Un travail par ailleurs relaté par la journaliste Taina Tervonen dans son ouvrage Les Fossoyeuses, sorti en 2021 et récompensé l'année dernière par le Prix Jan Michalski de littérature. Elle y fait le récit de deux femmes qu'elle a suivies pendant plusieurs mois, l'une chargée d’identifier les ossements humains retrouvés, l’autre se rendant dans les familles des disparus pour écouter leur parole et prélever leur ADN. Une quête de vérité essentielle pour l’histoire de leur pays et pour les familles qui y voient un début de reconnaissance et un petit peu de dignité retrouvée.

Les camps de concentration de Bosnie sont devenus lieux d’oubli

Un travail de reconnaissance par ailleurs indispensable à tout processus de réconciliation. A ce titre, les mémoriaux et la préservation des lieux de crimes jouent eux aussi un rôle essentiel. Or en Bosnie, la plupart des anciens camps de concentration, situés en République serbe de Bosnie, ne sont pas devenus des lieux de mémoire.

Ainsi, le camp d’Omarska, situé dans la région de Prijedor, au nord du pays, où vivait avant la guerre une majorité de musulmans, est aujourd’hui une usine appartenant à Arcelor Mittal, le leader de la décarbonation de l'acier. La production de l'entreprise se fait à l'endroit même où plus de 6'000 personnes ont été détenues et torturées dans des conditions atroces par les forces serbes. Et il n’existe pas de mémorial pour les 700 victimes qui y ont été tuées. Le camps de Keraterm, dans la même région, est lui aussi redevenu un lieu de manufacture.

Entre mai et novembre 1992, l’école du village de Tropolje, toujours au nord du pays, fut transformée par les Serbes de Bosnie en camp de concentration où furent enfermés au total environ 30'000 Bosniaques et Croates. Un monument y a bien été érigé, mais il est paradoxalement exclusivement destiné aux combattants serbes qui ont «donné leur vie pour la fondation de la République serbe de Bosnie».

Dans cette région où furent commis les plus importants massacres après celui de Srebrenica, seul le village de Kozarac possède un monument commémoratif érigé en 2010 en mémoire des 1'226 victimes mortes entre 1992 et 1995. C’est à ce jour le seul monument dédié aux victimes non serbes autorisé par les autorités de la République Serbe de Bosnie sur leur territoire avec celui de Potočari près de Srebrenica.

La Bosnie, entre fragilité et tensions persistantes

Un manque de reconnaissance et de lieux de mémoire qui, près de 30 ans après la fin de la guerre, rend difficile, pour ne pas dire impossible, tout rapprochement entre les deux entités du pays. Le processus de réconciliation nécessaire à la construction d’un Etat stable et unifié est encore entravé, depuis quelques années, par les théories révisionnistes de l’entité serbe de Bosnie. Ainsi, après avoir déjà réécrit partiellement l’histoire du siège de Sarajevo, les autorités de la Republika Srpska ont mandaté une commission dont le rapport, présenté en 2021, cherche à démontrer qu’il n’y a jamais eu de génocide à Srebrenica, contrairement aux conclusions du Tribunal pénal international. Le rapport affirme en outre que les forces serbes ont agi légitimement et respecté toutes les conventions de la guerre. Ainsi, ni le siège de Sarajevo, ni le génocide de Srebrenica ne sont aujourd’hui enseignés dans les écoles de la République serbe de Bosnie.

A cela s’ajoutent les nombreuses provocations de Milorad Dodik, l’homme fort de la Republika Srpska, qui revendique la sécession de cette dernière et récuse l’autorité du Haut-représentant international (OHR) imposé par la communauté internationale dans le cadre des accords de Dayton qui ont mis fin au conflit en 1995. En effet, afin de préserver l’unité de la Bosnie, Etat fragile et contre nature, le Haut-représentant (depuis 2021 l’Allemand Christian Schmidt) est chargé de faciliter le dialogue entre les différentes entités et groupes ethniques, et de prendre des décisions contraignantes. Bien que non élu par le peuple, il représente, de fait, le plus haut pouvoir politique du pays.

Or, depuis sa nomination en 2021, Milorad Dodik se livre à un véritable bras de fer avec l’OHR allemand, dont il refuse de reconnaître la légitimité. Le mois dernier, le Parlement de Republika Srpska a ainsi voté une loi qui rend inapplicables «à partir de maintenant» les décisions de la Cour constitutionnelle sur son territoire. Le 2 juillet, lors d’un discours menaçant, il annonçait le «renforcement des frontières intérieures de l’entité serbe de Bosnie», un référendum concernant le statut de cette dernière ainsi que de nouvelles mesures à l’automne pour «protéger la souveraineté des Serbes de Bosnie-Herzégovine et lutter pour leur survie». Autant de nouvelles étapes pour concrétiser ses plans séparatistes.

En décembre de cette année, cela fera 28 ans que les accords de Dayton mettant fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine ont été signés. Dans les faits, rien ne semble avoir été réglé et toute réconciliation semble illusoire.

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