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A vif / Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables


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En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir alors que La Poste s’apprête à «réformer» ses prestations.



Christian Levrat, le président de La Poste, est venu dimanche 14 septembre sur le plateau du Téléjournal de 19h30 de la RTS pour dire tout le bien qu’il pense des réformes actuellement en cours à la poste suisse: fermeture de bureaux, délocalisation au Portugal de certains services informatiques… Toutes les réformes se font pour le plus grand bien du public, des employés et des générations futures, affirme le président, la bouche en cœur, avec une langue de bois qu’il polit depuis des années et qui était déjà une de ses marques de fabrique lorsqu’il faisait de la politique.

Pourtant, les annonces qu’a faites il y a un mois le conseiller fédéral Albert Rösti ne sont pas rassurantes. Une révision de la loi sur La Poste devrait entrer en vigueur en 2030. Le fameux service universel qui oblige légalement La Poste à assurer des prestations postales de base partout en Suisse, garantissant ainsi l’égalité d’accès pour tous, pourrait être rendu plus «flexible». La fréquence de distribution du courrier, aujourd’hui quotidienne, pourrait être revue à la baisse, les délais d’acheminement prolongés, etc.

Tout ça, nous explique-t-on, est en partie rendu nécessaire par la diminution du courrier physique que les Suisses envoient. La baisse est importante: en 20 ans, le volume de lettres acheminées par La Poste aurait baissé de près de 40% − il n'empêche qu'en 2024, La Poste a quand même distribué 1,556 milliards de lettres. Des lettres que nous remplaçons petit à petit par des e-mails et des sms, et nous nous téléphonons, et nous faisons des visio-conférences. Pour communiquer, nous utilisons ainsi massivement les outils numériques, notamment ceux que nous loue ou que nous vend Swisscom.

Dissolution des PTT

Les PTT suisses (Postes, téléphones et télégraphes) ont été dissous à la fin des années 1990 dans le cadre d’une grande réforme. En 1998, les activités de télécommunications ont été séparées et transférées à une nouvelle société anonyme, Swisscom SA, majoritairement détenue à l’époque par la Confédération. Cette dernière a ensuite commencé à privatiser partiellement Swisscom en mettant en bourse une partie du capital (elle reste aujourd’hui l’actionnaire principal avec un peu plus de 50 %). Les deux héritiers des PTT, suite à la dissolution de 1998, sont ainsi Swisscom SA, qui a repris tout le secteur des télécommunications (téléphone fixe et mobile, Internet), et La Poste Suisse, qui a repris les activités postales (courrier, colis, services financiers de base) et est restée à 100 % détenue par la Confédération.

En résumé: en 1998, alors que la téléphonie et l’Internet sont en pleine expansion, la Confédération privatise ce qui est rentable et conserve ce qui coûte de l’argent. Cette fantastique opération capitalistique a été mise en œuvre par un socialiste, le conseiller fédéral Moritz Leunberger, avec le soutien des partis de droite: PLR, PDC (aujourd’hui Le Centre) et UDC. En 2024, le bénéfice de Swisscom était de 1,54 milliards de francs, celui de La Poste de 324 millions de francs.

Privilégier l’économie libérale

On peut prendre ces chiffres par tous les bouts, les expliquer de plusieurs manières, ce qui est évident, c’est que la Confédération a choisi en 1998 de privilégier l’économie libérale et ses acteurs plutôt que les principes de solidarité – ce qui est rentable compense ce qui ne l’est pas. Ce n’est ni la première ni la dernière fois.

Comme souvent, ce rappel historique permet de mieux comprendre les enjeux actuels, de les mettre en perspective, de ne pas avaler sans sourciller les boniments qui nous sont servis par celles et ceux qui expliquent pourquoi nous devons payer toujours plus pour avoir moins de ces services qui, autrefois, étaient jugés à l’aune des intérêts publics et non pas à celle des intérêts privés. 

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