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Culture

Culture / Des monstres si proches de nous

Marie Céhère

3 novembre 2023

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«Des hommes ordinaires. Un chapitre oublié de la Solution finale», Manfred Oldenburg, sur Netflix, 58 minutes.



Basé sur l’ouvrage de l’historien Christopher Browning, Des hommes ordinaires prend pour source les documents d’archives disponibles à propos du 101e bataillon de réserve de la police allemande, formé à l’été 1942. Des hommes d’âge moyen, des artisans, commerçants, bourgeois, des pères de famille, des hommes cultivés, tous originaires de Hambourg, se retrouvent en Pologne, dans le district de Lublin, après quelques jours seulement de préparation. La tâche qu’ils doivent accomplir: maintenir l’ordre dans ce territoire occupé par les nazis. Concrètement, cela signifie exécuter à bout portant des hommes, femmes et enfants juifs. Au total, 2 millions de personnes ont été exterminées dans ce que l’on a appelé la Shoah par balles, dans les premières années de la guerre. Le 101e bataillon, l’un des plus «prolifiques», est coupable à lui seul de la mort de 38’000 civils juifs. L’originalité de ce documentaire tient à ce paradoxe: une équipe de pieds nickelés, peu entraînés et plutôt socio-démocrates que nazis convaincus, a été d’une efficacité glaçante dans son rôle d’escadron de la mort. Un sociologue, un psychologue et plusieurs historiens se relaient et s'interrogent: qu’est-ce qu’un monstre? Quelle différence entre ces hommes ordinaires changés en criminels de masse, et nous, et nos voisins? Comment en sont-ils arrivés là? La thèse selon laquelle les réfractaires risquaient la mort est abondamment démentie. Plus que la peur d’un châtiment, c’est l’effet de groupe et la pression sociale qui auraient provoqué cette banalisation de l’horreur. Nous en serions toutes et tous capables, pourvu que les circonstances nous dépassent et l'imposent. On examine aussi le rôle d’un Etat totalitaire dans la malléabilité morale des individus. Le questionnement est dense, complet et universel. Les images d’archives, nécessaires. Car il faut voir ces actes et saisir combien la frontière entre l’homme de la rue et le meurtrier de sang-froid est mince. Nous ressemblons à ces monstres, ces monstres nous ressemblent.

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