Culture / Sarah Jollien-Fardel, un fusil dans les mains
«Sa préférée», Sarah Jollien-Fardel, Editions Sabine Wespieser, 200 pages.
Par ordre d’apparition, la violence est le premier personnage de Sa préférée, premier roman de la journaliste suisse déjà couverte de sélections et de prix d’automne. Violence d’un père, Louis, pervers, alcoolique, minable, incestueux. Tout le roman en est saturé: colères, coups, suicide, accidents, maltraitances, ruptures... Avec un talent remarquable, la romancière embarque son lecteur dans ses Enfers, le fait seul témoin de ses démons. On pense d’abord à Annie Ernaux (La Honte, La Place) pour l’acuité sociale et le récit d’une transfuge, descendue de son Valais à Lausanne, élevée de fille du monstre à professeure puis publicitaire. Il y a pourtant quelque chose de plus dans l’histoire de Jeanne, devenue orpheline de père, de mère, de sœur et d’histoire. Jeanne qui n’est «pas bonne» pour la vie, née morte, qui ne sait pas aimer, ne sait pas guérir. Quelque chose de brutal et de claustrophobe: comment le mal rampe et gronde sous la peau d'une jeune femme de son temps. Avec la grâce de la pure colère, Sarah Jollien-Fardel écrit fusil dans les mains et tient en joug quiconque serait tenté de ne pas regarder en face les ravages de la violence domestique. Ni le médecin du village, qui fera tardivement l’aveu de sa lâcheté, ni l’amour de Paul, le premier homme qui ne lui veut pas de mal, ne rachètent la faute originelle du père de Jeanne. Fi des discours sucrés sur l’amour rédempteur. Sa préférée est le phénomène de cette rentrée littéraire. Obsédant, élégant, impudique, effrayant, il survivra à la vogue parisienne.
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